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Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/265

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qui préservent du froid, les sièges larges et profonds qui invitent au repos et presque au sommeil; enfin il proscrivait les statues, les vases, même les pendules, du moins celles qui ne servaient que d’ornement. Tout cela lui était odieux comme les instrumens d’une existence efféminée. Il y avait trois choses pour lesquelles il se relâchait de sa parcimonie : c’était l’achat de ses livres, la distribution de ses charités, la représentation extérieure que lui imposaient les fonctions publiques et l’honneur de sa maison. Pour tout le reste, il s’accordait le moins d’aisance qu’il était possible. Par exemple, il consacrait une certaine somme modique et fixe au renouvellement de ses habits, et il était ingénieux à en prolonger non-seulement la durée, mais la fraîcheur, par une scrupuleuse propreté, qui allait chez lui jusqu’à la recherche. Ce qu’il retranchait sur cette dépense, il l’ajoutait à celle des livres et surtout à celle de la charité. Il proscrivait tout ce qui se rapportait à son bien-être personnel. Pendant une grave maladie, comme il entendait une de ses filles demander du linge fin pour envelopper le malade : « Vous oubliez, s’écria-t-il, que je suis un homme de la campagne. » Une autre fois, il avait à subir l’extirpation d’une excroissance qui lui était venue à la joue. Lorsque le médecin se présenta, il s’entretenait avec un ami dont il goûtait la conversation solide et brillante[1], et qui voulut se retirer; il le pria de rester, n’appela aucun aide auprès du médecin, se tint debout, portant lui-même le vase où le sang tomba à flots, continuant l’entretien pendant l’opération, qui se fit à deux reprises, et dont la douleur aiguë ne le fit ni chanceler ni pâlir.

Tel était M. Royer-Collard dans l’intérieur de sa maison : dur pour lui-même, sévère et grave pour ses proches; recherchant de la vie ce qu’elle avait de plus difficile. Tel qu’un soldat toujours prêt à combattre, il s’enveloppait de la douleur comme d’une armure; il endurcissait le corps pour fortifier l’ame, et il craignait les molles caresses de la nature et des arts, persuadé que tout ce qui détend les muscles du corps affaiblit les ressorts de l’ame et dénoue le nerf de la volonté.


II.

La vie publique allait bientôt cependant, mieux encore que la vie privée, mettre en relief l’énergie et la simplicité qui sont les traits de son caractère. Entre ces deux périodes, l’une obscure, l’autre brillante, de la destinée de M. Royer-Collard, vient se placer une époque où l’activité de ce grand esprit, appliquée à l’enseignement philosophique, ne se montre plus exclusivement consacrée aux soins de la famille. L’empereur avait fondé l’université, et dans cette université la Faculté des lettres de Paris. M. Pastoret en était le doyen et se

  1. M. Villemain.