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Quel cœur et quelle raison ! et comment Mirabeau qui, comme tous les hommes éloquens, avait le don d’aimer ce qui est bon et ce qui est beau plutôt que de le faire, comment Mirabeau, avec son ame sensible et vibrante n’aurait-il pas aimé M. de La Marck ? Aussi l’aimait-il, et non pas seulement à cause des services que M. de La Marck lui avait rendus ; il l’aimait par une raison plus haute, — les grands hommes, et même beaucoup d’hommes, n’aiment que par des raisons personnelles : Mirabeau aimait M. de La Marck parce que M. de La Marck l’avait compris et deviné, parce qu’il l’avait cru capable du bien, quand tout le monde le croyait ou affectait de le croire voué au mal. Mirabeau avait aussi compris combien il y avait de cœur et de sens dans M. de La Marck et ce qu’il valait. « Je n’ai eu que le émérite, mais que je prise, lui dit-il ; dans une lettre, de vous avoir deviné au milieu de tous les oiseaux-mouches qui vous entouraient et croyaient vous juger. » J’aime encore ce billet de Mirabeau, le 2 janvier 1790, à M. de La Marck qui était alors à Bruxelles : « Voilà mon cher comte, la date de l’année changée ; mais entre les grands et immortels événemens qui ont signalé cette année mémorable, une circonstance bien fugitive pour tout autre et pour vous-même ne sortira pas de ma mémoire : c’est celle qui nous a approchés davantage l’un de l’autre ; et qui a commencé, sur les rapports du courage et du caractère, une liaison… qui deviendra, j’y compte du moins, l’amitié la plus impérissable et la plus dévouée. ». Et M. de La Marck lui répondait de Bruxelles : « Sans m’enorgueillir, mon cher comte, d’un éloge que je dois plus à votre amitié qu’à tout autre titre, je m’honore à mes propres yeux d’avoir su m’approcher de vous et rendre hommage à vos qualités rares et trop souvent méconnues. L’amitié qui m’attache à vous, trouve un attrait de plus dans la justice que je vous rends, et mon amour propre même en est satisfait par cette espèce de supériorité que j’acquiers sur ceux qui n’ont pas su vous apprécier, ou qui ne l’ont pas voulu, car l’envie existe partout om il y a des hommes, et elle ne s’exerce jamais plus que sur les hommes supérieurs. »

Voilà comment M. de La Marck aimait Mirabeau, et en était aimé, voilà comment il se servait de son amitié pour le diriger et le contenir. Veut-on voir maintenant comment, tout en l’aimant, il connaissait et jugeait Mirabeau ? C’est surtout dans les lettres de M. de La Marck à M. de Mercy Argenteau, l’ancien ambassadeur d’Autriche à Paris, qu’on voit avec quelle sagacité et quelle justesse, il comprend Mirabeau ; c’est là aussi qu’on voit comment, tout en sachant les difficultés du rôle qu’il a choisi, M. le La Marck ne veut pas l’abandonner ; il s’agit en effet de saurer la reine, dont le danger frappe les yeux le tous ses amis. Voilà pourquoi M. de La Marck ne se décourage pas de la direction de Mirabeau, toute pénible qu’elle est ; parfois pourtant la patience lui échappe.