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Il ne paraît pas que les anciens comtes de Montefeltro aient jamais eu le loisir ou la volonté de favoriser les progrès de l’art que Cimabue et Giotto venaient de régénérer en Italie. Vers la fin du XIIIe siècle, un peintre de Gubbio, le miniaturiste Oderigi, s’était acquis pourtant une grande renommée; mais aucun de ses ouvrages ne subsiste aujourd’hui, et l’on est obligé de croire Dante sur parole, lorsqu’il chante celui « qui fut la gloire de Gubbio, la gloire de l’art qu’on appelle à Paris enluminure[1]. » Depuis cette époque jusqu’à celle où Frédéric monta sur le trône, les peintres qui travaillaient à Urbin ou dans les villes environnantes ne s’élevèrent pas au-dessus de la médiocrité. Seul, Gentile da Fabriano mérite d’être honorablement cité, et sans partager, tant s’en faut, l’opinion de M. Dennistoun, qui compare presque ses tableaux à ceux de fra Angelico, on ne peut refuser à cet artiste de l’élégance, de la finesse et un goût d’exécution distingué. Frédéric avait donc beaucoup à faire pour vivifier l’école de peinture d’Urbin, s’il est permis de donner ce nom à un ensemble d’œuvres produites sans élan et en dehors d’une direction commune. Ce fut aux artistes étrangers qu’il s’adressa d’abord, et il en détermina quelques-uns à venir essayer à Urbin la puissance de leurs exemples. Juste de Gand remplaça Gentile, qui était allé à Florence se perfectionner auprès des maîtres, et qui n’avait revu ensuite son pays natal que pour le quitter de nouveau. Lorenzo de Salerne, le Vénitien Carlo Crivelli, plusieurs autres peintres que cite Lanzi, décorèrent de fresques les églises et les palais des principales villes du duché, et furent magnifiquement récompensés par Frédéric ; mais celui auquel il accorda la préférence sur tous, et qui, pendant de longues années, resta l’objet de sa protection spéciale, fut Pietro della Francesca. Nul en effet n’était plus digne des sympathies du docte Frédéric que cet homme à l’esprit si profondément méditatif, dont les tableaux semblent avoir pour but la solution exacte d’un problème plutôt que l’expression d’un sentiment, et qui, jusque dans les œuvres d’imagination, apportait la rigueur des démonstrations mathématiques et les habitudes d’un logicien.

Le rôle de ce maître, méconnu quelquefois par les historiens de la peinture italienne et, à beaucoup d’égards, par M. Dennistoun lui-même, est trop considérable pour qu’il suffise de l’indiquer en passant. Pietro était né près de Borgo-San-Sepolcro, petite ville dans le voisinage d’Arezzo. Sa mère, pauvre paysanne, veuve depuis peu de jours au moment où elle le mit au monde, reporta sur lui toute sa tendresse et releva de son mieux; de là ce surnom de Fils de Françoise qu’on donna à l’enfant, et que Pietro, devenu homme, tint pieusement à conserver. Plusieurs écrivains ont prétendu que, le premier en Italie,

  1. Purgatoire, ch. XI.