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unissant ainsi dans un poétique adieu à la vie le courage tranquille de l’ame au souvenir des douces études qui avaient charmé son esprit. « Aucun prince d’Italie ne fut, dit Sismondi, plus chéri de ses sujets ; » aucun ne fut plus amèrement regretté. Lorsqu’on transporta à la lueur des torches le corps de Guidobaldo de Fossombrone à Urbin, des milliers de citoyens vinrent tout le long de la route s’agenouiller auprès du cercueil ; d’autres suivirent en pleurant le cortège, et c’est avec l’accent d’une émotion profonde que l’un des assistans, se faisant l’interprète de la désolation publique, a décrit cette nuit « de mystérieuse terreur, où les gémissemens du peuple étaient interrompus par des cris perçans que répétaient l’écho des montagnes et les hurlemens lointains des chiens de garde effrayés. »

Celui qui traçait ce lugubre tableau était le comte Balthasar Castiglione, l’un des plus fidèles amis du duc et l’auteur d’un livre autrefois célèbre. Le Courtisan de Castiglione est, parmi les ouvrages nés sous l’influence des ducs d’Urbin, un de ceux où se peint le mieux l’esprit de cette cour élégante. Castiglione, pour trouver des modèles du courtisan, n’avait que l’embarras du choix parmi tant de personnages d’élite avec lesquels il vivait dans une familiarité continuelle, et qui se distinguaient comme lui par les qualités de l’esprit, l’élégance des mœurs et l’exquise urbanité des manières. Son livre mérite d’être mis au nombre des meilleurs écrits italiens du commencement du XVIe siècle ; il trouve cependant peu de lecteurs aujourd’hui, parce que beaucoup de gens le jugent sur le titre, et se persuadent que l’art de la flatterie est le seul qu’on y professe. M. Dennistoun semble prendre à tâche de propager cette erreur, lorsqu’il s’élève contre « l’esprit d’adulation et de servilité qui a dicté ces pages malfaisantes. » Les pages dédaignées sont loin cependant de ne mériter que ce coup d’œil réprobateur, et les préceptes qu’elles contiennent eussent été dignes d’un examen plus impartial et moins rapide. Le courtisan de Castiglione est avant tout un honnête homme, un sage conseiller, et même, le cas échéant, un précepteur sévère, dont le rôle doit équivaloir à celui de « Phœnix auprès d’Achille ou d’Aristote auprès d’Alexandre. » Seulement il fera bien, s’il veut être écouté, de commencer par s’efforcer de plaire, et se gardera d’imiter Callisthènes, « qui ne savait pas donner à la vérité des formes attrayantes. » Il va sans dire que l’auteur du Courtisan prête à son héros les avantages naturels propres à prévenir en sa faveur. Le portrait physique une fois tracé, et les conditions de noblesse originelle et de fortune suffisamment déterminées. Castiglione place en première ligne les qualités militaires ; puis viennent certains talens virils, utiles sur les champs de bataille comme dans les tournois, enfin les jeux « où se développe l’élégance du corps » et la danse, dont Castiglione paraît faire grand cas. On sait que, deux