Depuis long-temps déjà les femmes recevaient en Italie à peu près la même éducation que les hommes; mais elles n’en profitaient plus pour s’arroger les mêmes droits et s’affubler d’une sorte de caractère public. Le temps était passé où elles adressaient en latin aux papes et aux rois de longues harangues politiques, où Isotte Nogarola, qu’on appelait la grande Isotte, et Ippolita Sforza discouraient au congrès de Mantoue sur l’opportunité de la guerre à déclarer aux Turcs. Les théologiennes étaient également hors de mode, ou, si quelques femmes étudiaient encore le Dialogue explicatif composé par Isotte sur la faute de nos premiers parens, aucune d’elles du moins n’essayait de donner un pendant à cet écrit étrange, dans lequel l’auteur plaide pour Eve contre son frère, défenseur d’Adam, le tout à grand renfort de citations tirées des classiques, et par devant un honnête podestat qui, la cause entendue, donne ses conclusions. Tout aussi instruites, mais beaucoup moins pédantes que leurs mères, les dames italiennes du commencement du XVIe siècle ne participèrent qu’avec un zèle tempéré par la réserve aux progrès de cette dernière période de la renaissance. Elles les déterminèrent souvent par des encouragemens, très rarement par leurs propres ouvrages, et, sans rechercher au dehors l’éclat de la célébrité personnelle, elles se contentèrent d’influencer dans le demi-jour de leurs palais les travaux des écrivains et des artistes qui venaient auprès d’elles recevoir des inspirations ou des avis. Tel fut le rôle de la duchesse d’Urbin et de ses amies. Si l’on était tenté de rapprocher de ces femmes distinguées nos précieuses et les bas-bleus d’Angleterre, la comparaison tournerait tout à l’avantage de la cour d’Elisabeth Gonzague. On y retrouverait peut-être le germe de ce sentimentalisme galant qui devait ensuite fleurir à l’hôtel de Rambouillet; mais on y reconnaîtrait des doctrines littéraires d’un ordre supérieur, et, à coup sûr, plus de bienveillance, d’enjouement et de grâce que dans les salons blueistes de Londres.
Emilia Pia, qui joue un rôle si brillant dans le Courtisan de Castiglione, pourrait être regardée comme le type de ces grandes dames italiennes, moitié savantes, moitié femmes à la mode, sous le patronage desquelles se plaçaient les érudits et les poètes. Veuve, dès sa jeunesse, d’un frère naturel de Guidobaldo, elle respecta fidèlement la mémoire de son mari, et n’accepta que l’amitié de gens fort disposés à lui offrir l’hommage d’un autre sentiment. Bembo, par exemple, tout occupé qu’il était alors de sa liaison, platonique, dit-on, avec Lucrèce Borgia, se sentait cependant le cœur assez vaste pour y donner place à « la beauté cruelle dont le nom trompeur exprimait la pitié. » Bien qu’il ne se fît pas faute de distractions de plus d’un genre, il ne renonça pas à son amour, encore moins aux concetti poétiques que cet amour lui inspirait, car, selon l’usage de ce temps, il décrivait soigneusement un martyre qu’il semble au fond avoir