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cette faveur au profit de sa fortune en acceptant les travaux qu’on s’empressa de lui offrir ; mais il avait de plus nobles desseins, et ne se jugeait pas encore mûr pour la gloire. La seule grâce qu’il fût venu solliciter était le moyen d’aller étudier à Florence les ouvrages des grands maîtres, et il voulait, avant d’entreprendre ce voyage, se munir de quelques lettres de recommandation auprès des chefs de la république. La lettre bien connue que lui donna la sœur du duc d’Urbin n’atteste pas seulement l’intérêt que lui portait cette princesse; elle ôte tout prétexte au reproche d’indifférence qu’on pourrait adresser à la famille de Montefeltro, protectrice naturelle de Raphaël.

Personne n’ignore que, pendant ce premier séjour à Florence, l’élève jusque-là si docile du Pérugin prit de plus en plus possession de lui-même, et qu’il entama cette série d’œuvres exquises, dites de sa seconde manière. Ces œuvres, les aurait-il produites, s’il fût resté dans sa patrie, et ne les devons-nous pas en grande partie aux facilités qu’il trouva à Urbin pour faire son voyage de Toscane? En supposant que le patronage de Guidobaldo n’ait eu d’autre résultat que de laisser Raphaël libre de choisir le milieu le plus favorable à ses études, ne faudrait-il pas encore en reconnaître l’opportunité, puisque cette liberté même fut si bien employée et si féconde? D’ailleurs le duc ne s’en est point tenu là : en 1506, il attire auprès de lui le jeune maître et lui confie l’exécution de deux tableaux qu’il veut offrir au roi de France[1]; il lui commande son portrait, celui de la duchesse, beaucoup d’autres ouvrages, dont quelques-uns seulement purent être achevés. Raphaël. impatient de retourner à Florence, où son talent devait grandir encore, ne consentit à accomplir qu’une partie de sa tâche. Il résista aux instances du duc, aux séductions d’une cour qui semblait avoir été formée tout exprès pour abriter ce doux génie, et il s’éloigna d’Urbin pour n’y plus revenir. On sait le reste : au bout de peu d’années, l’ancien protégé de la princesse Jeanne de Montefeltro était devenu le favori de deux papes, le chef d’une école brillante, une sorte de grand seigneur dont l’ambition ne s’effrayait même pas, dit-on, de la dignité de cardinal. Désormais rien ne pouvait le rappeler à Urbin : tous ses intérêts au contraire le retenaient à Rome, et pendant les douze années qu’il y passa, il ne paraît pas qu’il ait été fort jaloux de conserver des relations directes avec la famille de ses premiers bienfaiteurs. Une lettre qu’il avait écrite de Florence à son oncle maternel, peu de jours après la mort de Guidobaldo, exprimait en termes convenables son respect

  1. Le petit Saint Michel et le Saint George qui lui sert de pendant, aujourd’hui au musée du Louvre. — Un autre Saint George, que Raphaël peignit à cette même époque, fut envoyé au roi d’Angleterre par Guidobaldo, créé deux années auparavant chevalier de la Jarretière. De là les insignes de cet ordre que porte le saint, et qui seraient un anachronisme inexplicable, si l’on n’y voyait une allusion à la distinction accordée au duc par Henri VII.