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Tous les arts s’anéantissent à cette époque dans le duché d’Urbin. Les artistes, nous l’avons dit, y sont plus nombreux que jamais, mais ils ne luttent entre eux que d’exagération et de mauvais goût. Les élèves et les imitateurs du Baroccio, peintres, architectes ou statuaires, se précipitent tête baissée dans le gouffre où les entraîne leur maître. Rien ne surnage, rien ne ressort de cet océan de mauvaises œuvres, — ou plutôt rien ne se perd que le talent, puisque aujourd’hui encore l’Italie est inondée des productions des Baroccisti. Faut-il ajouter qu’elle semble fière de les posséder, qu’elle leur donne place dans ses plus belles galeries, et qu’à Florence même, à quelques pas de la Tribune, une salle du palais des Offices porte le nom du chef de cette détestable école? M. Dennistoun pousserait-il aussi loin que les Italiens l’estime pour ces pauvres ouvrages? Il montre à l’égard du Baroccio une indulgence d’autant plus regrettable qu’elle contraste avec la justesse ordinaire de ses appréciations. Tout en y mêlant quelques paroles de blâme il laisse tomber de sa plume des éloges qui pourraient presque s’adresser au Corrége, mais auxquels il est impossible de souscrire lorsqu’on se rappelle de quel peintre il s’agit.

Le règne de François-Marie II, sixième et dernier duc d’Urbin, tient donc dans l’histoire de l’art une place inférieure encore à celle du règne précédent, et le seul mot de décadence suffirait pour le caractériser, s’il était permis de méconnaître ce qui l’honore à d’autres égards. Les progrès des sciences et des lettres en Italie depuis la fin du XVIe siècle jusqu’au milieu du XVIIe se résument en un petit nombre d’œuvres conçues ou exécutées pour la plupart sous le patronage de François-Marie II, et le nom de ce protecteur du Tasse, de Guarini et du naturaliste Aldovrandi, brille d’un éclat plus pur qu’aucun de ceux des princes qui eurent quelque influence sur la destinée de ces hommes célèbres.

On a vu que Bernardo Tasso avait été rejoint à la cour de Pesaro par son fils, alors âgé de treize ans. François-Marie et Torquato, rapprochés d’abord par la communauté de leurs études et de leurs jeux, s’étaient liés ensuite d’une amitié plus sérieuse, et lorsque, après une. séparation de quelques années, ils se retrouvèrent à Pesaro, tous deux eurent le tort de vouloir vivre comme autrefois sur le pied de l’égalité, tort d’autant plus grave que la princesse d’Urbin, femme du jeune héritier du trône, se trouvait nécessairement en tiers dans leur intimité.. La présence du poète mit en péril la paix domestique des époux, ou plutôt elle vint porter une atteinte nouvelle à cette paix, déjà fort compromise; pour peu qu’on se rappelle dans quelles conditions s’était accompli le mariage, on comprend aisément qu’il n’ait amené de part et d’autre que des difficultés et des regrets.

Lucrèce d’Este, sœur d’Alphonse II, duc de Ferrare, était déjà âgée de trente-cinq ans à l’époque où elle avait épousé François-Marie, qui