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La constitution délicate du jeune prince ne permettait pas qu’on usât envers lui de la sévérité nécessaire à l’éducation d’un homme. De peur de fatiguer son enfance, on l’avait tenu éloigné de toute occupation sérieuse; on n’osait opposer à ses caprices une volonté qui les maîtrisât, et cette excessive indulgence acheva de gâter un naturel d’ailleurs peu favorisé. Frédéric, ignorant le devoir aussi bien que l’étude, se livra de très bonne heure à des excès qui ruinèrent sa frêle santé et effrayèrent François-Marie. Le vieux duc n’avait eu jusque-là pour son fils qu’une aveugle faiblesse; il essaya de se montrer rigoureux, et se décida à grand’peine à l’éloigner momentanément de lui. L’année suivante, il le maria à la princesse Claude, fille du grand-duc de Toscane, et, le croyant corrigé de ses vices et de ses habitudes passées, il eut l’imprudence de mettre à exécution le projet, tant de fois caressé, d’une abdication de fait. Il confia à ces indignes mains la direction des affaires publiques, et se retira à Castel-Durante. Frédéric, débarrassé du seul témoin qui pût lui faire obstacle, se hâta d’installer au palais des débauches de bas étage; il ordonna des fêtes dans la ville en l’honneur d’une comédienne qu’il avait prise pour maîtresse; quelques jours après, il donnait à des comédiens les places de ses gentilshommes ; un peu plus tard, il se faisait acteur lui-même, et remplissait de préférence les rôles de valet, ceux où l’obscénité du geste et de la parole était la condition ordinaire du succès. En un mot, cette cour des ducs d’Urbin, si long-temps le modèle de la courtoisie et de l’élégance, devint un réceptacle d’infamies dignes des plus vils des empereurs romains. La mort vint mettre un terme à ces honteuses extravagances. Un matin, Frédéric, qui avait comme de coutume paru la veille sur le théâtre, fut trouvé inanimé dans son lit, et la nouvelle de cette fin subite fut reçue dans tout le duché avec une satisfaction au moins égale à celle qui, dix-huit ans auparavant, avait accueilli les paroles d’allégresse de François-Marie.

Frédéric ne laissait qu’une fille; ainsi la branche mâle de la famille della Rovere allait s’éteindre avec François-Marie, et celui-ci, obligé maintenant de remonter sur ce trône d’où il avait été si heureux de descendre, prêta de nouveau l’oreille aux propositions de la cour de Rome. Urbain VIII venait de succéder à Grégoire XV : sous son pontificat, les intrigues pour la possession future du duché recommencèrent avec plus de suite et d’activité que jamais. Aux hésitations du vieux duc, que retenait encore sa répugnance à dépouiller sa petite-fille, on opposa habilement la perspective de la guerre qu’entraînerait une succession contestée; on l’effraya, au nom de ses peuples, sur les malheurs qui pourraient s’ensuivre. De son côté, le grand-duc de Toscane, Ferdinand II, qui avait été fiancé à la fille de Frédéric, offrit de renoncer pour sa femme et pour lui à toute prétention sur le duché, à