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amis qu’il ne l’était alors envers lui-même : il crut que l’invitation affectueuse du duc d’Urbin cachait des chaînes et des embûches nouvelles; il refusa, et, traînant de ville en ville son indigence et sa sombre mélancolie, il ne voulut ou ne put pas se souvenir qu’il s’était condamné par ce refus à la douloureuse existence qu’il appelait énergiquement « une mort continuelle. »

Les Lettres et le Journal de François-Marie prouvent que son zèle pour les œuvres et les hommes supérieurs eut souvent un plus heureux succès. La situation de Pesaro sur la route de Lorette et de Rome attirait dans cette ville des voyageurs de tous les rangs, et le duc ne manquait pas d’arrêter au passage ceux que leur mérite recommandait à sa vigilante protection. Ce fut ainsi qu’au retour d’un pèlerinage qu’il avait accompli à Lorette, Galilée se trouva obligé pour ainsi dire de séjourner quelque temps au palais ducal. François-Marie, plus curieux encore de science que de poésie, n’était pas homme à se contenter de cette courte visite. Galilée une fois parti, il s’établit entre le duc et lui une correspondance régulière dont malheureusement il n’existe pas un seul fragment aujourd’hui. Une correspondance semblable que François-Marie avait ouverte avec Ulysse Aldovrandi amena celui-ci de Bologne à Pesaro, où il commença la publication de son immense ouvrage sur l’Histoire naturelle. D’autres savans, plusieurs poètes, au premier rang desquels il convient de citer Guarini, que le duc honorait d’une affection toute particulière, des théologiens et des professeurs célèbres quittaient le pays où ils étaient nés pour venir se ranger autour de ce prince, qui ne se croyait sur le trône que pour faire fleurir les sciences et les lettres. Le reste lui importait assez peu, et, comme son mariage avec Lucrèce ne lui avait pas donné d’héritier, il aurait volontiers abandonné le gouvernement de l’état à Clément VIII, qui le pressait fort de ne pas différer son abdication, s’il n’avait été arrêté par la crainte de rendre ses sujets malheureux en les laissant sous la domination pontificale. Le peuple, que cette crainte préoccupait plus vivement encore, voulait que le duc se remariât, et le saluait à son passage du cri expressif de: Serenissimo, moglie! François-Marie dut se rendre à des vœux si contraires à ses propres désirs. En 1604, il épousa Livia, fille d’Hippolyte della Rovere et petite-nièce, par son père, de Guidobaldo II, et l’année suivante il annonçait lui-même la naissance du prince Frédéric à la foule que l’anxiété avait fait accourir sous les fenêtres du palais : « Mes amis, Dieu nous a donné un fils. » s’écria le duc. On juge des transports de joie qui éclatèrent à cette nouvelle. Qui se serait douté alors qu’un jour François-Marie et le peuple regretteraient amèrement la naissance de ce fils tant désiré, et que Frédéric, sur qui on fondait de si douces espérances, deviendrait bientôt un objet de haine et de mépris ?