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usuels, ou qui se réduit aux proportions d’un jeu futile de l’esprit. Les traits qui distinguent les œuvres de l’école d’Ombrie à la fin du XVIe siècle ne se retrouvent-ils pas dans les œuvres produites en France vers le milieu du XVIIIe ? Les faïences d’Urbin avec leurs arabesques, leurs emblèmes galans et leurs petites scènes érotiques, diffèrent-elles beaucoup, quant à l’intention, des éventails et des dessus de porte peints par Watteau, Boucher et leurs élèves? Enfin, lorsque la peinture, telle que l’avaient comprise les grands maîtres, n’existe plus, à vrai dire, dans le duché d’Urbin, le nombre des artistes s’accroît à l’infini. Tous ne rêvent qu’aux moyens d’arriver le plus rapidement possible à la notoriété et à la fortune. C’est à qui déploiera non pas le génie le plus inventif, mais l’adresse la plus productive. De ce côté encore, n’y aurait-il pas lieu à quelque rapprochement entre le règne des derniers ducs d’Urbin et la période où nous sommes? Tranchons le mot : ce sont deux époques de décadence, — avec cette différence toutefois que l’une a abouti à la ruine absolue. définitive, et que l’autre est loin encore de paraître irrémissiblement condamnée.

Sans parler de quelques illustres exceptions à la loi qui pèse aujourd’hui sur l’ensemble de l’école française, nous ne voulons pour preuve de la vitalité de notre art que la diversité même des tentatives qui se succèdent depuis plusieurs années. Il est vrai qu’à force de les voir se multiplier et se contredire les unes les autres, nous avons quelque peu perdu la foi dans l’avenir, et qu’en peinture comme ailleurs on en est venu à douter du lendemain; mais ce n’est pas un motif pour désespérer du bien qu’il peut amener. Gardons-nous seulement de prendre pour des signes de force et d’imagination ce qui n’est que le vain témoignage du matérialisme de la pensée ou de l’audace de la main. Qu’une même réprobation enveloppe les sauvages doctrines des apôtres de la réalité vulgaire et les prétentieuses fantaisies des Baroccisti de notre temps. L’art tombe vite de la décadence dans l’opprobre et la mort, lorsqu’il n’a plus pour mobile que le caprice, pour but que la négation des principes éternels de la vérité et du beau : la fin de l’école d’Ombrie est un exemple qui doit nous servir de leçon.


HENRI DELABORDE.