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échanger les nouvelles, les anecdotes, et aussi les médisances, car au Khamis des Beni-Ouragh, comme à Paris, la langue humaine va son train.

Quand j’entrai dans la cour du poste, plusieurs de ces messieurs étaient déjà réunis, les uns officiers français, les autres brevetés au titre étranger, tous d’une origine aussi disparate que les soldats placés sous leurs ordres. La légion étrangère présente une singulière physionomie. Ils sont là de tous les pays, de tous les coins du monde. Les uns, sortis on ne sait d’où, après avoir mené une vie d’aventures, erré comme le Juif errant, viennent chercher le repos en courant l’Afrique. Un grand nombre, bien nés, bien élevés, mauvaises têtes, enfans prodigues de l’Europe entière, ayant encore de toutes leurs folies sauvé du cœur, demandent sous un nom supposé au drapeau de la France protection et appui contre eux-mêmes. Aussi, quand les recherches d’une famille pour retrouver un des siens ont été vaines, lorsque toutes les polices du monde sont en défaut, il reste encore une ressource dernière : écrivez au colonel de la légion étrangère : presque toujours il vous rendra celui que vous désirez. J’ai vu, pendant que j’étais au Khamis, le fils d’un conseiller antique de l’empire, le neveu d’un cardinal, le fils d’un banquier de Francfort, retrouvés ainsi presque en même temps. Dans cette Babel, le chinois seul n’est pas parlé. Italiens, Prussiens, portugais, Russes, Espagnols, ont des représentans. Il faut une main de fer pour plier dans un même moule des élémens si divers ; aussi la discipline ne connaît pas l’indulgence. Malheur à qui désobéit ! le conseil de guerre est sans miséricorde, et la justice prompte.

Des trois officiers qui m’avaient précédé sous l’arbre, un seul servait au titre français : c’était M. D…, le frère d’une personne à laquelle des succès de théâtre et des aventures de tribunaux ont donné un certain renom, taciturne, rarement de bonne humeur, fort brave soldat, bon camarade, assurait-on. L’autre arrivait en droite ligne de Perse, d’où, un beau malin, ennuyé du service du chah, il était parti, emportant pour toute fortune la décoration du Soleil. Comme il avait rendu, en ces pays lointains, des services à la France, il reçut un brevet d’officier étranger dans la légion. Petit homme aux cheveux châtains, à la barbiche d’un blond ardent, le nez gros, les traits forts, ayant deux yeux bizarres et une cervelle plus étrange encore, il discutait, il disputait sur toutes choses. La politique pourtant avait la préférence. Déjà il se déclarait républicain, et il pratiqua avec tant de conviction les maximes des frères et amis, que l’on dut, même après la révolution de février, le prier de s’éloigner de la légion. Quant au troisième, celui-là avait une distinction de manières et de figure toute particulière : de beaux cheveux noirs, un teint charmant, le nez régulier, l’œil limpide et brillant, plein d’intelligence. Un léger accent le faisait