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tout à coup un bruit épouvantable déchira les airs, et sembla rouler sur l’île entière. Saisis de terreur, ils s’enfuirent sur leur navire, mais n’osèrent, vu le peu de profondeur de l’eau, mettre à la voile pendant la nuit. Le lendemain matin, à peine le soleil était-il levé, qu’ils virent s’avancer au bord de la côte un vieux seigneur et dix hommes, qui le suivaient nu-tête comme des serviteurs. Adressant la parole au maître du navire, le vieillard lui demanda d’où il venait, où il allait, et s’il savait en quel endroit il était. Le maître satisfit à ces questions, mais déclara ne point savoir où il se trouvait. Alors celui qui semblait le seigneur invita les marins à descendre à terre, et, ayant chassé leur crainte par de bonnes paroles, il les emmena en son château, où on leur fit joyeuse fête. Là ils apprirent que l’île se trouvait depuis bien des siècles sous la puissance d’un enchantement qui ne devait cesser que lorsque de bons chrétiens allumeraient du feu, que la veille, dès que la flamme avait commencé à brûler, les génies malfaisans vaincus s’étaient enfuis avec ce bruit terrible qu’ils avaient entendu, et que, grâce à l’heureuse venue des marins, les habitans de l’île étaient enfin délivrés de leur épouvantable prison. — On donna aux Irlandais, ajoutait Moore, au moins d’après celui qui racontait l’histoire, de nombreuses pièces d’or; ils atteignirent heureusement l’Irlande, et revinrent même dans ce pays où on les avait si bien fêtés; mais, au troisième voyage, ils cherchèrent vainement l’île : elle avait disparu.

Bel-Hadj était tout oreilles à ce récit, et, quand Moore eut fini, il nous dit :

— La terre est un livre plus clair que ceux des savans, et chaque pays a le signe qui conserve le souvenir des événemens accomplis. Tu connais la grande montagne, l’Ouarsenis. sa longue crête de roches aiguës et la tête de pierre qui la domine? Parmi les anciens des Beni-Boukanous, qui demeurent au pied, on conserve cette tradition. Fatigué des crimes des hommes, Dieu, qui n’avait pas encore envoyé son prophète, se retirait dans sa puissance, et laissait les génies du ciel et de la terre engager la lutte entre eux. Un jour, les génies du ciel vaincus regagnaient les étoiles, leurs citadelles; les génies de la mer, acharnés à leur poursuite, tirèrent les eaux de leurs profondeurs et s’élevèrent, portés par elles, pour rejoindre leurs ennemis. Le flot montait, montait toujours, couvrant la terre, étouffant les peuples; mais Dieu restait dans son silence, car les peuples étaient maudits, quand arriva jusqu’à lui la voix d’un serviteur, le seul qui lui fût resté fidèle dans le pays entier. Alors, abaissant son regard, il donna à la terre l’ordre de se gonfler à la place où se trouvait la famille de son serviteur, et sous ses pieds le juste lui-même sentit le rocher grandir. Quand l’œuvre de destruction qui était écrite fut achevée, les génies de la mer se trouvèrent sans force pour dresser les flots jusqu’au ciel, et ils