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le crime en le partageant entre elle, son temps et son pays. J’allais me laisser convaincre, parce que je pouvais condamner Marie sans être forcé de la haïr; mais, en y pensant de nouveau, peut-être en y rêvant, dégagé des liens de cette logique que sa modération même rend plus irrésistible, ma conviction s’est affaiblie ; j’ai cru qu’une dernière preuve manquait, sans laquelle toutes les autres sont insuffisantes; j’ai admiré le livre, et j’ai repris mon doute.


I.

Ce doute n’est autre chose que l’opinion commune sur Marie Stuart. Opinion ou préjugé, peu importe, il y a long-temps qu’elle dure, et il est vraisemblable qu’elle continuera de durer à côté du livre qui est venu nous l’ôter. Elle est née d’une première pitié trop juste et trop honorable pour que la conscience publique en revienne. Cette pitié est passée en habitude. Vous ne l’amènerez pas à regarder les pièces du procès; elle suspecterait plutôt les plus authentiques qu’elle ne songerait d’éclaircir les douteuses. Les juges de Marie ne sont d’ailleurs que trop connus. On sait, sans qu’il soit besoin d’une enquête, qu’ils n’ont pas été de sang-froid, et l’arrêt a été à jamais discrédité par les passions de ceux qui l’ont rendu. En l’absence de preuves dès le premier jour évidentes, et qui auraient empêché la pitié de naître, ou s’est fait de Marie Stuart une idée contre laquelle il est douteux que la critique puisse jamais prévaloir. Le talent même qui la combat contribue à la raffermir. L’effet du livre de M. Mignet sera de rendre Marie Stuart plus aimable encore; la pitié y prendra de nouvelles raisons de lui rester fidèle; elle lira avec avidité tout ce qui la sert, et avec déférence seulement tout ce qui lui est défavorable. Comment nous persuaderait-on que Marie a été complice d’un meurtre par guet-apens ? C’est à peine si l’on peut nous faire croire qu’il y eut un jour où elle cessa d’être belle. Il n’est pourtant que trop facile de prouver que dix-huit années de captivité avaient dû blanchir ses cheveux, et que son corps endolori par l’insalubrité de la prison avait perdu de ses grâces; nous le persuader n’est pas si aisé, et l’image qui prévaut, en dépit de tout, est cette beauté dont parle Brantôme, « qui, même estant habillée à la sauvage et à la barbaresque mode des sauvages de son pays, paroissoit, en un corps mortel et en habit barbare et grossier, une vraye déesse. »

Le théâtre et le roman ont entretenu l’illusion. Le livre de M. Mignet, déjà beaucoup lu, le sera plus encore; mais il est douteux qu’il aille en autant de mains que l’Abbé de Walter Scott. Pour une personne qui lira le chapitre où l’historien éminent fait sortir du récit même les preuves de la complicité de Marie, cent liront les scènes touchantes où