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Walter Scott l’en absout. Dans une de ces scènes, une des compagnes de la captivité de Marie Stuart au château de Lochleven vient de faire par mégarde allusion à la nuit de l’assassinat :


« La malheureuse reine, dit Walter Scott, qui jusqu’alors avait écouté lady Fleming avec un sourire mélancolique, l’interrompit par un cri si étrange et si profond, que la voûte de l’appartement en retentit. Sous l’empire des idées horribles qu’on venait d’éveiller, Marie semblait emportée non-seulement au-delà de sa volonté, mais hors des bornes de sa raison.

« Maitresse, dit-elle à lady Fleming, tu veux donc tuer ta souveraine ! Appelez ma garde française! A moi! à moi, mes Français! Je suis assiégée par des traîtres dans mon propre palais!... Ils ont assassiné mon mari.... Au secours, au secours de la reine d’Ecosse! »

« Elle se leva de sa chaise; ses traits, auxquels sa pâleur même donnait une si exquise beauté, s’enflammèrent de fureur et la firent ressembler à Bellone. « Nous tiendrons la campagne nous-mêmes, continua-t-elle. Avertissez la ville; avertissez Lothian et Fife.... Qu’on selle mon cheval barbe d’Espagne; dites au Français Paris de veiller à ce que nos couleuvrines soient chargées.... Mieux vaut mourir à la tête de nos braves Écossais, comme notre grand-père à Flodden, que de désespoir, comme notre père.... »

« — Pour l’amour de Dieu, madame, calmez-vous, dit lady Fleming.

« Mais l’imagination de la reine était trop excitée pour qu’aucune prière pût faire changer ses idées de cours. « Allez dire au duc d’Orkney[1], poursuivit-elle, de venir à mon secours et d’amener avec lui ses agneaux, comme il les appelle, Bowton, Hay de Tallo, Black, Ormiston ! et son parent Hob.... Fi! qu’ils sont noirs et qu’ils sentent le soufre ! »


Cette scène n’est pas un chef-d’œuvre, je le veux bien; elle frappe cependant, parce qu’elle peint Marie telle que nous croyons la connaître : innocente du meurtre qu’elle renvoie aux vrais coupables, mais, par la façon dont elle parle de Bothwell et « de ses agneaux qui sentent le soufre, » trahissant à la fois l’amour coupable et la crainte corruptrice qui l’avaient livrée à cet homme.

Dans une autre scène, le même souvenir éveille en elle, au lieu de transports furieux, des regrets et des pressentimens qui révèlent l’amertume du malheur plutôt que le remords. Marie, échappée de prison, livre aux confédérés sa dernière bataille. Les deux armées sont aux mains non loin du château de Crookstone, où elle avait tenu sa cour la première fois après son mariage avec Darnley. Les gens de sa suite veulent l’y conduire :


« — Non pas là, non pas là, dit-elle d’une voix faible; je ne rentrerai jamais dans ces murs.

« — Soyez une reine, madame, dit l’abbé, et oubliez que vous êtes une femme.

« — Hélas! j’oublierais bien plus encore, répondit, en baissant la voix,

  1. Bothwell.