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moins encore dans le parlement dont les complaisances avaient aidé Marie à se perdre.

Après cette double production, les lettres rentrent de nouveau dans la possession du régent Murray jusqu’au milieu de l’année suivante. A cette époque, Marie, de nouveau vaincue et cette fois prisonnière d’Elisabeth, consentait à ce que des conférences s’ouvrissent à York pour juger entre elle et les lords qui l’avaient chassée. Murray avait apporté la cassette et les papiers. On lui persuade qu’une défense poussée à l’extrême lui serait plus nuisible qu’utile; il ne fait aucune production, se justifie en termes modérés et réduit les torts de la reine prisonnière au scandale de son mariage avec l’assassin de son mari. Toutefois il communique officieusement les lettres aux commissaires anglais. Ceux-ci écrivent à Elisabeth que « les lords du parti leur ont montré une longue et horrible lettre écrite, disent ces lords (as they saye), de la main de la reine; » les commissaires ne l’affirment pas pour leur compte. L’un d’eux, le duc de Norfolk, qui pensa depuis à devenir l’époux de Marie, et à qui cette ambition coûta la vie, écrit à la vérité en particulier « que, par tout ce qu’ils en peuvent apercevoir, la reine serait coupable; » mais on ne parle pas ainsi, ce semble, d’une chose évidente. Je ne veux pas d’ailleurs tirer des projets ultérieurs du duc de Norfolk sur Marie la preuve qu’il avait dû tout au moins garder des doutes sur la culpabilité d’une femme dont il aspirait à faire la sienne. En ces temps-là, l’ambition, la faiblesse, le vertige d’un trône en perspective, pouvaient faire rechercher la main d’une reine qui se serait rendue veuve par l’assassinat, outre qu’il est dans le cœur humain que ce qu’on a cru d’abord par conviction, on en doute plus tard par intérêt.

Les conférences d’York avaient été brusquement transférées à Westminster. Elisabeth voulait, disait-elle, voir le procès de plus près, c’est-à-dire s’en rendre maîtresse. Cette fois enfin les lettres sont produites officiellement. On les confronte avec des lettres écrites par Marie à Elisabeth; elles sont trouvées conformes. Plus de doute : les lettres de Marie sont entièrement de sa main, elle-même s’est condamnée; Elisabeth doit être satisfaite. Elle qui voulait des preuves, non de l’innocence, mais du crime de sa bonne sœur, elle les a; les plus grands seigneurs de l’Angleterre, deux lords catholiques, présumés favorables à une reine de la même foi, déclarent sur leur honneur qu’ils croient les lettres authentiques. Les commissaires de Marie Stuart ne contestent pas, ils protestent, ce qui est fort différent. Dans cette abondance de moyens de perdre Marie avec l’assentiment de tous les honnêtes gens d’Angleterre et d’Ecosse, certes on doit s’attendre à ce qu’Elisabeth se donne la joie comme femme, et s’assure l’avantage comme chef du protestantisme en Europe, d’afficher partout le crime de Marie.