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Avec la phrase et, pour le dire tout de suite, avec la pensée arrêtée d’un meurtre, à quel propos tout ce détail sur les soupçons de Darnley et cette offre de Marie de lui faire des aveux pour tirer de lui ce qu’il pense? Qu’avait-elle à avouer? Sa passion sans doute. A quoi bon s’imposer cette honte devant un mari dont la mort était résolue? quels secrets voulait-elle tirer de lui? Rien autre chose que ses sentimens sur la conduite de sa femme, sur ses projets, sur sa situation personnelle? Quel intérêt Marie y avait-elle, et à quoi bon ces tardives explications avec un homme déjà mort? Enfin quelle vraisemblance que ce soit après le regret presque touchant de la première phrase, après un soupir de remords : Alas, après le témoignage qu’elle se rend de n’avoir jamais trompé personne, qu’elle propose tout à coup à Bothwell, comme chose à y penser, le moyen plus secret et plus sûr de l’empoisonnement?

La phrase homicide est bien plus étrange encore, quand on la rapproche des principaux passages de la lettre. Si Marie était complice du projet de meurtre, à quoi bon demander à Darnley s’il avait songé véritablement à quitter l’Ecosse sur un vaisseau anglais? à quoi bon provoquer ses aveux et ses regrets au sujet de propos qu’il avait tenus contre elle? Dans quel cœur humain trouver le moyen de concilier avec le projet de faire périr son mari ce soin qu’elle a de transmettre à Bothwell les paroles de repentir de ce mari, paroles qui rendent leur crime commun plus exécrable; — ce plaisir secret qu’elle paraît prendre à parler de sa puissance sur Darnley et à recueillir ses protestations de tendresse, celle-ci par exemple : « Dieu sait que je suis punie pour avoir fait de vous mon dieu... je n’ai de pensées que pour vous... » et d’autres encore; — et cette pitié dont elle est tentée, quoique l’ancien et juste mépris subsiste, et peu après cet espoir que Dieu, — eût-elle osé prendre Dieu pour complice? — rompra des liens que le diable a formés; — puis, parmi d’autres réflexions, cette phrase, qui nous rejette si loin de la pensée du meurtre : «Je joue un rôle que je hais! n’avez-vous pas envie de rire à me voir mentir si bien, tout en mêlant la vérité au mensonge? » — Où trouver un second exemple d’une femme capable soit de croire qu’elle trame un meurtre d’une façon assez plaisante pour faire rire son complice, soit d’aimer l’homme qui peut y trouver de quoi rire? pour moi, tant de légèreté avec tant de scélératesse me passe, et, obscurité pour obscurité, j’ai moins de peine à soupçonner d’un faux en écriture des hommes qui avaient été ou les complices de Darnley dans l’assassinat de Riccio, ou les complices de Bothwell dans l’assassinat de Darnley, qu’à reconnaître un monstre dans Marie Stuart.