Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/491

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bien que le dîner était un dîner de plaisir, et que, joué le jour même ou quelques semaines auparavant, l’indécence en était grande; mais, si l’on veut y voir une preuve de la culpabilité de Marie, je serai tenté d’y trouver une preuve de son innocence. Une meurtrière eût plus ménagé les apparences. J’y verrai donc volontiers l’effet de ces mauvaises joies de l’ame, mala gaudia mentis, dont Marie n’a pas su se défendre; mais je n’y veux pas voir un aveu qui lui échappe.


V.

Il faut s’arrêter; peut-être aurais-je dû le faire plus tôt. Aussi bien j’ai, malgré moi, l’air de contester, et je ne conteste pas, je soumets des doutes. Il est vrai qu’en soumettant des doutes, on est toujours un peu avocat : grand défaut même chez les avocats, à plus forte raison chez les écrivains. Je ne me pardonnerais pas d’y être tombé dans une contradiction avec M. Mignet, lequel n’est pas un moment avocat, ni dans son livre, ni dans ses notes. Il était impossible de garder une plus exacte mesure, d’être plus discret, plus sobre, plus délicat, et, par la manière de dire toute la vérité, de faire qu’elle fût le plus utile en étant le moins scandaleuse, d’être plus humain avec moins de complaisance pour les passions des hommes, d’accuser avec plus de regret, de condamner avec plus de pitié. M. Mignet est digne de tenir la plume de l’historien. Son imagination ni son amour-propre ne sont intéressés à ce qu’il écrit. On n’y sent point l’esprit de contention par lequel nous galons la vérité elle-même, et paraissons l’employer, soit comme un argument de cause pour défendre nos préjugés, soit comme une arme de combat, pour rendre les blessures qu’on nous a faites. M. Mignet a la passion de la vérité; mais, tandis que chez d’autres qui s’arrogent ce mérite, cela veut dire qu’ils croient vrai ce qu’ils croient par intérêt, chez M. Mignet ce n’est que l’émotion de la raison à la vue du vrai qu’elle a réussi à mettre dans la plus belle lumière. C’est pour cela qu’il ne se soucie pas de traiter des sujets du jour. Il y a deux ans, il publiait Antonio Perez et Philippe II, des noms et un temps bien loin de nos querelles. Cette année, il publie l’Histoire de Marie Stuart. Son impartialité est comme un instinct qui le porte vers les époques où elle peut être le moins tentée; il craindrait, en prenant ses sujets trop près de nous, soit de n’y avoir été attiré que par le désir de profiter pour lui de l’intérêt qu’ils excitent, soit de laisser corrompre la sévérité de sa raison par les passions qui y prennent parti.

Je sens qu’en faisant cet éloge de M. Mignet, j’affaiblis mes objections. S’il possède à un degré si éminent, avec le discernement qui découvre le vrai, l’impartialité qui conduit sur ses traces, en quel sujet risquait-il moins de se tromper qu’en une histoire si en dehors des événemens et des idées de notre temps? Il est vrai; mais, si je veux