obstacle de ce point jusqu’à la mer. J’avais eu déjà l’occasion d’observer des ruisseaux coulant dans des canaux d’une largeur qui dépassait de beaucoup le volume de leurs eaux; mais jamais ces canaux n’étaient disproportionnés au point de rendre impossible une explication rationnelle de cette singularité. Ici, au contraire, il semblait, à première vue, que rien ne pût raisonnablement expliquer ce contraste d’un canal gigantesque traversé par un faible ruisseau. La Guanipa prend sa source à soixante kilomètres d’Aguasai, et, à quarante kilomètres de ce point, on rencontre déjà les escarpemens gigantesques dont j’ai parlé. Dans l’état actuel du chenal formé par ces escarpemens, mille rivières de la force de la Guanipa réunies ne le rempliraient pas, et toutes les eaux qui tombent dans les provinces de Cumana, Barcelona, Calabosso et Caracas ne pourraient suffire à le creuser. L’Orénoque seul aurait pu le faire; mais, en raison de l’élévation des plateaux, l’Orénoque ne peut couler de ce côté, puisque les plateaux de Guanipa et de Pelona sont élevés de deux cent, cinquante mètres au-dessus du niveau de la mer, tandis qu’Angostura, située sur les bords de l’Orénoque, n’est élevée que de soixante-neuf mètres au-dessus de ce même niveau.
Sans me donner pour un savant géologue, je crois pouvoir résoudre laques- lion que soulève l’état du vaste bassin traversé par la Guanipa. Voici l’explication que je soumets en toute humilité à des juges plus compétens que moi, La cordillère qui traverse la province de Cumana n’est qu’une branche de la grande cordillère des Andes; elle court de l’est à l’ouest le long de la mer des Antilles jusqu’aux bouches du Dragon. Au sud et au pied de cette cordillère commence le système des tables ou plaines; les plus rapprochées sont les tables d’Urica, Aragua de Maturin et Uracoa; elles continuent depuis ce point en courant du nord-est au sud-ouest jusqu’aux tables de Mercyal, Santa-Clara et des Barinesès, qui terminent le système sous le 54e et 55e degré de longitude ouest méridien de Paris. Il est bon de remarquer que, jusqu’à ce dernier point, le fleuve court à peu près du sud au nord, se retrouvant en cet endroit environ sous le même méridien qu’à la naissance du Quasiquiare; mais, lorsqu’il arrive en face des tables de Mercyal et des Barinesès, se retrouvant repoussé du côté de l’ouest par la grande rivière Apure, il est obligé de prendre une autre direction et de faire un angle droit pour courir de l’ouest à l’est.
En 1847, étant chargé par le gouvernement provincial de Cumana de canaliser la rivière Guarapiche, j’avais eu occasion de reconnaître les canaux Colorado, Français, Saint-Jean, dans lesquels versent leurs eaux les rivières de Guarapiche, Arco, Caripe. Je n’avais pu comprendre comment d’aussi faibles rivières, qu’on passe à gué près de leur embouchure, avaient pu creuser des canaux d’une longueur de quarante à cinquante kilomètres, d’une largeur de deux mille mètres et d’une profondeur de quinze à vingt mètres; tous ces canaux, qui ont leur embouchure et leur barre dans le golfe Triste, ressemblent parfaitement aux embouchures d’un grand fleuve comme le Mississipi : dès-lors je conçus l’idée que ces canaux avaient été les embouchures de l’Orénoque, dont le cours avait dû être changé par une des commotions si communes en ces pays, ou par un soulèvement qu’il fallait reconnaître.
En 1849, le gouverneur de la province de Cumana me chargea de visiter les mines de sel de la pointe d’Araya, pour quelques travaux à faire qu’il désirait