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Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/575

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les gens de n’être pas illustres, et du train dont nous marchons, les illustrations sont de moins en moins indispensables pour gouverner la France. C’est même un principe à l’ordre du jour, et qui gagnera la vogue pour peu qu’il en ait le temps, c’est un axiome de fraîche date en matière de haute politique, que les illustrations, voire les simples notoriétés parlementaires, ne sont point à leur place dans les affaires publiques. On soupire de tout son cœur après les gouvernemens d’affaires pour se tirer des gouvernemens de tribune; on a les mépris les plus superbes pour les discoureurs, et l’on veut enfin passer aux hommes pratiques. La politique est à bout, et nous en sommes las : faites-nous de l’administration! Voilà qui serait bel et bon, si tout le monde le disait aussi naïvement que les bourgeois absolutistes qui le répètent; mais comme il n’y a point d’administration sans politique, quand ce n’est point l’administration qui fait la politique, c’est qu’elle se fait ailleurs, et la direction n’en est pas nécessairement plus sage.

Nous avons déjà vu ce système à l’essai dans le courant de cette année; nous avons eu le cabinet intérimaire, dont les honorables membres apportaient modestement la plupart le tribut d’une vieille expérience administrative pour excuser devant l’assemblée leur nouveauté politique. Du cabinet intérimaire, nous étions revenus néanmoins au cabinet parlementaire : nous voici maintenant plus que jamais en dehors du parlement; — mais le malheur veut cette fois que le cabinet du 27 octobre, pour n’être point un ministère d’hommes politiques, ne soit pas davantage un ministère d’hommes spéciaux, de sorte qu’en lui réservant dans un avenir quelconque tous les titres qu’il ne manquera sans doute point d’acquérir, on ne peut s’empêcher d’avouer qu’il ne se recommande aucunement encore par des titres acquis. Il y a pourtant une exception que notre impartialité se plait à relever, et M. Charles Giraud, qui est du moins à sa place dans son département, se trouve ainsi d’emblée le membre le plus éminent du cabinet. Ce serait même là tout ce que nous dirions de ce cabinet mal pourvu, si nous pouvions nous enfermer, comme derrière des murailles, dans les limites de ce malheureux pays, et n’exprimer de notre jugement que ce qu’il en faut pour établir notre situation intérieure; — si nous pouvions ne voir ni n’entendre l’impression de dédain et d’ironie produite au dehors par cette apparition singulière. Pensez-vous que les chancelleries russes seront très affligées de voir à la tête des nôtres un diplomate qui n’a jamais appris de diplomatie que ce qu’on en peut apprendre dans les rangs de la garde nationale parisienne? Et pensez-vous aussi que la marine anglaise ait beaucoup à s’inquiéter des progrès de nos escadres sous la haute impulsion du professeur de belles-lettres qu’on appelle à les diriger, comme si, pour une raison ou pour l’autre, il était encore moins choquant de lui faire présider le conseil de l’amirauté plutôt que le conseil de l’instruction publique?

Ah! c’est en franchissant ainsi le Rhin ou la Manche, c’est en passant de l’autre côté de la frontière pour regarder la France, que l’on aperçoit tout de bon la profondeur de cet abaissement où elle tombe; c’est de là qu’on peut mieux apprécier tout ce qu’elle perd de considération et d’influence à chacune de ces crises qui la secouent sans la redresser; c’est au milieu des étrangers, en voyant l’estime qu’ils ont de nos hommes d’état, qu’on peut exactement proportionner la sienne et calculer le véritable poids dont ils pèsent dans la balance du monde.