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l’heure favorable pour son entrée. Nous le trouvâmes dans une maison de plaisance, à quelques pas de Chiraz, où il ne devait entrer qu’après l’apparition au zénith de la constellation réputée propice. Le rôle des astrologues en Perse ressemble tort à celui du médecin de Sancho Pança. Ces devins, qu’une superstition ridicule fait tout-puissans, abusent souvent de leur empire pour entraver les volontés du prince au profit de ses ennemis. Dans chaque grande maison de la Perse, il y a un astrologue, comme il y a un médecin, un poète et un bouffon : les uns et les autres sont d’ignorans flatteurs, qui vivent aux dépens de la crédulité de leurs maîtres, pareils à certaines plantes parasites qui feraient mourir l’arbre où elles ont pris racine plutôt que de s’en détacher.

La villa qu’habitait Ferrhad-Mirza s’appelait Baghnô. C’est un joli petit palais, situé au milieu d’un grand jardin planté d’orangers, de myrtes et de grenadiers. Les appartemens en sont simples, mais très élégans. La salle de réception ou divan-i-khânèh s’ouvre sur un magnifique paysage dont la ville, la plaine et les coteaux forment les divers plans, qui se détachent sur le fond azuré des belles montagnes du sud. Devant les fenêtres, un grand bassin octogone de marbre blanc contient une eau limpide, frais et tranquille miroir où se reflète la riche végétation des massifs voisins. Je fis plusieurs visites à la villa de Baghnô, et j’y passai de longues heures en causeries intimes avec le châhzadeh, dont l’amabilité ne se démentait jamais. Ferrhad-Mirza me questionnait beaucoup sur l’Europe et sur notre système de gouvernement. J’avais la plus grande peine à lui faire comprendre ce qu’est un gouvernement constitutionnel et représentatif. Quand je lui parlais des chambres et de leur pouvoir, il s’étonnait grandement et ne pouvait revenir de sa stupéfaction : il était bien difficile, en effet, de définir clairement, à un homme qui d’un signe pouvait faire tomber mille têtes, les véritables limites du gouvernement constitutionnel. Nos conversations avec le châh-zadeh roulaient aussi, on le pense bien, sur la Perse et sur la grande ville dont il était le gouverneur. Chiraz, qui est la capitale du Fars, a toujours passé pour l’une des plus importantes et des plus florissantes cités de la Perse ; elle est également l’une des plus industrieuses, et, parmi ses divers produits, les armes qu’on y fabrique jouissent d’une certaine réputation. Sous le règne de l’usurpateur Kerim-Khân, elle devint la capitale du royaume. À d’autres époques plus récentes, elle fut le foyer de graves conspirations formées contre l’autorité du souverain légitime. Aujourd’hui, paisible et laborieuse, elle n’a pas oublié le rang qu’elle a occupé sous Kerim-Khân, mais elle se résigne à obéir aux beyliers-beys du châh.

Les habitans de Chiraz passent pour les plus aimables et les plus instruits des Persans, pour ceux qui parlent le plus purement le farsi