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devaient rester stériles. Il n’y a point ici sans doute, comme en Chine, l’attrait du mystérieux et de l’inconnu ; il n’y a point non plus le prestige de ces traditions mystiques qui enveloppent de leurs nuages ténébreux les cimes du Sinaï et du Thabor. Il y a quelque chose de plus réel, de plus palpable : c’est la vie d’un noble peuple dont les souvenirs se perdent dans l’immensité du passé et dont l’histoire rappelle les plus mémorables crises qu’ait traversées la civilisation orientale, depuis les temps de Darius jusqu’à ceux de Mahomet. C’est en se reportant vers cette glorieuse histoire qu’on arrive à contempler avec moins de tristesse la situation présente de l’Irân. Les annales de leur pays rappellent éloquemment aux Persans que les époques d’indépendance sont aussi celles où ils se sont le plus illustrés dans les arts et dans la guerre. Qu’ils s’attachent donc à défendre cette indépendance contre les influences européennes qui la menacent de tous côtés ; qu’ils se souviennent que leurs plus admirables monumens ont été créés par des princes noblement jaloux de la gloire nationale. C’est là ce qu’attesteront toujours les colonnes du palais des rois à Persépolis, les gigantesques bas-reliefs dont les Sassanides ont orné les rochers du Fars, et les grandes mosquées des monarques Sophis, si magnifiques et si gracieuses sous leurs coupoles azurées.

Comment désespérer d’une nation qui a sous les yeux de pareils témoignages de son ancienne grandeur ? Sans doute, la Perse sommeille aujourd’hui, la diplomatie anglaise et moscovite la domine ; ses châhzadehs et ses khâns, divisés en deux partis, servent tour à tour les vues de la politique russe ou les intérêts du commerce anglais. On répugne à croire cependant qu’un état qui ne compte pas moins de vingt-cinq siècles d’existence va s’éteindre ainsi dans un incurable engourdissement. Les nations orientales, habituées au régime despotique, prospèrent ou végètent selon les chefs qui se succèdent à leur tête. Il en a été ainsi de la nation persane, si brillante sous les Sophis, si faible sous les Kadjars. Qu’un chef vigoureux prenne en main ses destinées, et peut-être la verra-t-on se réveiller alors, grande par les arts comme sous les Sophis, ou par la guerre comme sous Nâdir-Châh.

Eugène Flandin.