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Houle, on fait la répartition du produit de la pêche : il est immédiatement livré aux biskines, barques d’une quarantaine de tonneaux, qui le transportent dans les parcs de Saint-Waast, de Courseulles et de Dieppe, ou se distribue entre les étalages même de La Houle, vastes dépôts où les coquillages se conservent, se développent, se reproduisent et alimentent incessamment le commerce. Les étalages sont au nombre de sept cent vingt-huit, et occupent entre les laisses de haute et de basse mer une superficie de cinquante-huit hectares ; ils contiennent souvent soixante millions d’huîtres. La sagesse des réglemens auxquels est assujettie la pêche des huîtres se manifeste dans l’obéissance scrupuleuse avec laquelle on les observe, et mieux encore dans l’intérêt attentif et jaloux qu’inspire aux pêcheurs l’aménagement d’une richesse naturelle ou plutôt d’une propriété sur laquelle se fonde l’avenir de leurs familles. Instruits par l’expérience, ils ne veulent plus d’une liberté qui conduirait, par le gaspillage des gisemens, à la ruine du pays et des individus.

La propreté, l’air d’aisance des habitations de La Houle témoigne de l’abondance des ressources de la baie et fait honneur à l’activité des ménagères : les talens domestiques de celles-ci ne leur font pas dédaigner des travaux qui, pour être pénibles, ne sont point au-dessus de leurs forces. Le beau sexe n’est pas moins remarquable à Cancale par sa vigueur musculaire que par ses grâces, et lorsque, par les basses mers de vive eau, il descend en masse sur la plage pour faire la pêche à la main, on ne sait vraiment ce qu’on doit le plus admirer de ses larges poitrines, de ses jambes musculeuses et de ses bras nerveux, ou de ses yeux bleus et de ses bouches vermeilles.

Malgré ces habitudes laborieuses, la population de Cancale ne passe ni pour très économe, ni pour très avisée. Le capital de la plupart des petites entreprises maritimes dont subsiste le pays s’obtient par l’escompte des bénéfices qu’on s’en promet, et cette manière d’administrer fait souvent des positions semblables à celles de ce soldat d’Horace qui avait perdu sa ceinture. L’habitude de voir la fortune capricieuse de la pêche déjouer les calculs de la sagesse et réparer les fautes de l’imprudence, de braver le danger, de compter pour faiblesse le soin de la vie, conduit au dédain de la prévoyance. Cette disposition d’esprit fait moins de calculateurs économes que de matelots intrépides, tels que les aimait Duguay-Trouin. On en est encore, à Cancale. à faire de la force et du courage personnel plus de casque de l’argent : aussi les Normands, voisins de cette population, la trouvent-ils fort arriérée.

Autant la circulation est animée dans la banlieue de Saint-Malo, autant elle est languissante sur la rive opposée. Infranchissable aux voitures, la Rance isole le beau pays qui s’étend de sa rive gauche à la