Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/674

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’eût prévenue. Le lendemain matin, les bâtimens du roi et les corsaires qui étaient à Solidor eurent un sort semblable.

Fort heureusement, le commandant des forces de sa majesté britannique n’avait hérité que des dignités du grand homme de guerre dont il portait le nom : il ne devinait pas les moyens d’attaquer Saint-Malo exposés dans le mémoire de Vauban, et le temps qui s’écoulait n’était pas perdu pour nous. Les marins de Cancale avaient suivi M. de La Tour d’Auvergne, et occupaient à Saint-Malo les postes les plus dangereux ; le génie multipliait les obstacles devant l’ennemi ; les bourgeois et les marins s’organisaient en compagnies de volontaires ; des troupes et des munitions entraient par Dinard ; soixante gentilshommes des environs formaient pour les coups les plus hardis une compagnie franche sous les ordres du chevalier de Robien, lieutenant aux grenadiers à cheval ; enfin le duc d’Aiguillon, accouru du fond de la Basse-Bretagne, après avoir mis de tous côtés les troupes disponibles en mouvement, s’était jeté dans la place, et imprimait à tous les services d’approvisionnement une grande activité. La bonne contenance des troupes et de la population fit paraître aux yeux du duc de Marlborough la ville beaucoup plus forte qu’elle n’était en réalité. Le 10 juin, ses coureurs annoncèrent que des têtes de colonnes se montraient à Châteauneuf et à Pontorson : il donna immédiatement l’ordre de plier les tentes, et le duc d’Aiguillon, après s’être assuré de la réalité du mouvement, suspendit la marche des troupes dirigées sur Saint-Malo, de manière à les porter avec plus de facilité sur tel autre point qui serait menacé. La retraite des Anglais se fit dans un ordre parfait. Le comte de La Tour d’Auvergne, avec le régiment de Boulonais et la compagnie franche, suivit leur mouvement en leur tuant (Quelques hommes. Rentrés dans le camp de Cancale en laissant en dehors une forte arrière-garde, les Anglais rembarquèrent, sans se presser, d’abord leur matériel et leurs chevaux, puis leur infanterie. Le 12, à midi, tout était à bord. Le soir, M. de La Tour d’Auvergne s’établit lui-même dans le camp, et la flotte, après avoir deux fois quitté et repris le mouillage, disparut le 22 dans la direction de Jersey.

La veille de ce départ, le duc d’Aiguillon avait renvoyé au duc de Marlborough cinq de ses soldats faits prisonniers ; celui-ci garda trois soldats de Boulonais qui avaient eu le même sort, et les emmena en Angleterre. Quelques jours plus tard, on reçut à Saint-Malo les journaux publiés à Londres pendant l’expédition : ils annonçaient au peuple anglais que le duc de Marlborough avait pris les villes de Cancale, de Saint-Coulomb, de Saint-Ideuc, de Paramé, et était maître d’une partie de la Bretagne[1]. Chez nous, on se souvint qu’en 1694 et dans son

  1. Archives de la guerre. Journal circonstancié du séjour de la flot le anglaise devant Saint-Malo, mouillée dans la baie de Cancale. Saint-Malo, juin 1758 ; une feuille in-4o. Relation circonstanciée du séjour de la flotte anglaise mouillée dans la baie de Cancale, journal exact de l’ingénieur en chef des fortifications le chevalier Mazin. Juin 1758. (Manuscrit.)