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Cancale, dont tous les rapports constatent l’action sans le nommer, se jette avec quelques camarades dans la batterie déserte, et dirige si bien le feu de trois canons, qu’après un combat de deux heures la frégate est obligée de se faire remorquer ; mais elle est bientôt remplacée par trois autres frégates, dont le feu balaie le rivage, et sous la protection, desquelles quatre-vingts chaloupes débarquent trois mille hommes d’infanterie. Le comte de La Tour d’Auvergne veut charger les Anglais avec ses quatre cents soldats et autant de volontaires animés les uns et les autres de cette ardeur avec laquelle les troupes inexpérimentées obtiennent de grands succès ou commettent de grandes fautes ; les officiers du génie l’arrêtent ; il cède enfin à leurs instantes représentations sur l’insuffisance de ses munitions, la disproportion de ses forces, la nécessité de les réserver pour la défense de Saint-Malo, et le peu de portée d’un succès momentané. On réclamait d’ailleurs les dragons pour conduire à Dinan douze cents prisonniers faits par les corsaires, malouins. Les Anglais opèrent donc leur débarquement ; ils forment tranquillement entre le bourg de Cancale, la falaise et La Houle un camp aussi fortement retranché qu’avantageusement situé ; ils passent la journée du 6 à brûler les maisons qui les gênent, à en créneler quelques autres, à faire des abatis d’arbres, et ils perfectionnent si bien leur établissement, que nos ingénieurs n’y trouvèrent quelques jours plus tard pas une seule disposition qui ne fût digne d’éloges. Le camp reçoit en tout quatorze mille hommes, mille chevaux, vingt-trois pièces de canon et deux obusiers. Le 7, l’ennemi se porte sur Paramé et sur Saint-Servan ; il occupe la ligne même que voulait fortifier Vauban, et l’on reçoit à Saint-Malo un message ainsi conçu :


« Quartier général de l’armée, le 7 juin 1758.

« Nous nous trouvons en possession de tout le pays entre Dinan, Rennes et Dol jusqu’à Saint-Malo, et voyant que tous les habitans des villes et villages dans toute l’étendue de ce pays ont abandonné leurs domiciles pour éviter apparemment les contributions ordinaires, et comme nous sommes informés que les habitans ont été par vos ordres forcés de se rendre à Saint-Malo, nous vous faisons savoir que, s’ils ne se rendent point paisiblement chez eux et n’envoient point leurs magistrats à notre quartier pour régler les contributions, nous nous croyons obligés à y mettre le feu, et cela sans retardement.

« Duc de Marlborough. »

Le marquis de La Châtre répondit, ce qui était parfaitement vrai, qu’il n’avait donné aucune espèce d’ordre, et la nuit les Anglais, descendant sur la grève du port, brûlèrent quatre-vingts bâtimens de 150 à 300 tonneaux, ce qui causa au commerce une perte de 3 millions, c’est-à-dire très supérieure à ce qu’eût coûté la fortification qui