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des expéditions lointaines, de puissans armemens, c’est qu’il a formé par la pêche ou le commerce un matériel considérable, un personnel nombreux et exercé. On ne fait la guerre qu’avec les ressources accumulées par la paix, et la puissance navale peut, moins qu’aucune autre, se passer de capitaux.

En 1423, les Malouins « ont mis sus, armé, frété et avitaillé certaine bonne quantité de navires groz et menuz ; puis, libérallement, de leur franche vollonté et à leurs propres coutz et dépens, sont montez auxdits navires en bien grand nombre d’eux et allez avec Louis d’Eslouteville faire lever le siège que tenoient nos ennemiz les Anglais devant le Mont-Sainct-Michel, à grand puissance de navires et de gens d’armes et de traict, en quoi ils ont grandement défrayé du cousté du leur[1]. » Ils firent en 1495, avec les Basques, la découverte de Terre-Neuve : Jean Cabot n’y vint qu’en 1497, et ils devancèrent, par l’établissement de la pêche, la possession que François Ier fit prendre de l’île en 52-4. Jacques Cartier partait de Saint-Malo, sa patrie, le 20 avril 1534, pour entreprendre la découverte du Canada, et, le 19 mai de l’année suivante, pour la compléter : il revenait le 16 juillet 1536, après avoir donné à cette contrée le nom de Nouvelle-France. François Ier encouragea ces entreprises, et, « pour le désir d’avoir cognoissance de plusieurs payz qu’on disoit inhabitez et aultres qu’on disoit estre possédez par des gens sauvages et sans usage de raison, » il nomma, le 17 octobre 1540, Jacques Cartier capitaine-général d’une grande expédition dans l’Amérique du Nord. Il est superflu de dire si la marine malouine fut l’instrument de ces expéditions ; les noms de cap Fréhel, de La Couche, de Vache-Gâre, de baies de Saint-Méen et de Saint-Lunaire, de Bréhat, de Kerpont, de port-Saint-Servan, de cap Cézambre, semés sur la côte du Canada, sont autant de traces de son passage.

En 1541, Charles-Quint demandait aux Malouins leur concours pour son expédition contre Alger. Pendant la seconde moitié du XVIe siècle, les Malouins, dont le zèle pour la religion catholique était grand, embrassèrent avec ardeur la cause de la ligue : ils allèrent, chose rare chez des marchands, jusqu’à sacrifier l’intérêt commercial au sentiment religieux. Un arrêt du conseil de ville, en date du 20 avril 1591, fit défense « de trafiquer en Angleterre, crainte de contracter quelque corruption en la religion au préjudice du saint parti. » Néanmoins, au milieu du sang et des ruines qui couvrirent à cette époque la Bretagne, Saint-Malo conserva sa puissance navale, et ne pactisa point comme Paris avec l’Espagnol. « Les habitans n’ont rien regardé durant ces troubles que la conservation de la religion catholique, apostolique, romaine, et l’estat du royaulme, sans se soubmettre en puissance

  1. Ordonnance de Charles VII de 1425.