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d’aultrui….. et combien que tardifs en leur recognoissance, ils se sont les premiers résolus à ne tolérer en façon quelconque l’establissement de nos ennemis en nostre province de Bretagne et se sont courageusement opposés à diverses pratiques secrètes, intelligences et entreprises ouvertement tentées contre nostre ville de Saint-Malo[1]… » Tel est le témoignage que rendit Henri IV lui-même à la manière dont ils surent maintenir leur indépendance, et l’empressement à se les attacher que laisse percer à chaque ligne de ses édits de 1594 ce prince avisé marque toute l’importance dont était à ses yeux cette conquête. Le roi y accorde à la ville un tribunal consulaire pour juger les différends en matière de commerce ; il autorise, sous la simple réserve des dispositions des traités entre la France et l’étranger, « le trafic et commerce libre en la ville avec toutes personnes, de quelques nations, pays ou partis qu’elles soient ; il permet aux habitans, sous la surveillance du grand-maître, de faire fondre de l’artillerie pour le service et maintien de la ville, du château et des navires et vaisseaux du port, » et immédiatement les armateurs, comme pour assurer leur droit en l’exerçant, font fabriquer cent pièces de canon[2]. Enfin il pousse la condescendance pour les sentimens qui avaient jeté la ville parmi ses ennemis les plus ardens jusqu’à défendre, après une humble confession des anciennes erreurs qu’il veut se faire pardonner, tout exercice de la religion réformée à trois lieues à la ronde autour d’elle. Il faut ajouter qu’une fois leur soumission faite, les Malouins furent les amis les plus dévoués d’Henri IV.

L’étendue des relations commerciales des Malouins est attestée par les réclamations que notre ambassade à Londres présente, en 1598, à la reine Elisabeth sur les tracasseries que leur suscitaient les Anglais « en tous leurs voyages et navigations, soit en Espagne, Portugal, Canaries, Barbarie. Levant, Terres-Neufves et autres endroits. » — En 1609. une flottille malouine, commandée par Beaulieu, montre à la chrétienté comment il fallait traiter la piraterie barbaresque. Suivie de quelques bâtimens espagnols, elle force en plein midi l’entrée du port de Tunis et y brûle trente-cinq navires armés pour la course. — En 1628, les Malouins concourent puissamment, sous le cardinal de Richelieu, à la prise de la Rochelle et à la consolidation de l’unité française, trop souvent attaquée dans nos guerres de religion. — Ces actes, qui surnagent, entre tant d’autres oubliés, du sein d’une période de deux siècles, ne manifestent-ils pas la puissance du commerce de Saint-Malo, et qui pourrait, devant les marques du coup de griffe, nier l’existence et méconnaître la force du lion ?

  1. Cahier d’articles et édit du 28 octobre 1594 sur la soumission de Saint-Malo.
  2. Ordonnance en date du 31 octobre 1594 de Philibert de la Guiche, grand-maître de l’artillerie.