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morue au Chapeau-Rouge et au Petit-Nord de Terre-Neuve. La première occupe quinze à vingt navires de 100 à 300 tonneaux ; la seconde de quarante à cinquante. Les navires partent en février, et sont d’un mois à six semaines en route ; si la pêche directe est mauvaise, on achète le produit de celle des habitans de la côte : on est de retour en novembre et décembre. La morue est portée à Bordeaux, en Provence, en Espagne, en Italie, et l’on rapporte à Nantes, au Havre et à Saint-Malo, des fruits, des savons, de la soude et d’autres denrées du midi. La concurrence anglaise est très vive aux lieux de placement de la morue, et les Hollandais emploient à la pêche de ce poisson jusqu’à 400 bâtimens. » Enfin, sans donner aucun chiffre, M. de Nointel cite comme considérables les exportations de grains de Bretagne que faisaient les Malouins.

La course, on s’en souvient, donna de grands profits pendant la période à laquelle se rapportent ces documens. De 1688 à la fin du règne de Louis XIV, il entra dans le port de Saint-Malo 528 prises, dont les onze douzièmes furent faits par des corsaires malouins[1]. En 1709, année d’affreuse disette, compliquée par les misères de la guerre et l’exagération des impôts, la ville eut la gloire de venir efficacement au secours de l’état : elle fit au roi un prêt de 30 millions, sur lesquels 11,390,773 fr. furent frappés à la monnaie de Paris[2] avec les matières d’or et d’argent rapportées par les navires que M. de Chabert sut faire rentrer au travers des croisières anglaises dans le port de Lorient.

Il n’existe pas, à ma connaissance, de dénombrement des habitans de Saint-Malo pour l’époque de ce mouvement maritime ; mais le développement de la population a dû répondre à celui du commerce. M. Cunat, dont les recherches ont été plus fructueuses que les miennes, a constaté qu’en 1699, il y avait eu 720 naissances dans la paroisse de Saint-Malo. Ce nombre, multiplié par 28, accuserait une population de 20,160 habitans, c’est-à-dire à peu près double de celle d’aujourd’hui. À ce compte, l’enceinte contenait alors 1,252 individus par hectare : telle est à peu près aujourd’hui la population spécifique de Toulon, et cette donnée s’accorde avec ce que Vauban disait en 1700 de l’encombrement et de la hauteur des habitations.

Il faut le reconnaître, une des principales causes de l’ancienne prospérité de Saint-Malo a consisté dans les privilèges commerciaux dont a joui pendant plusieurs siècles cette ville, et dans l’habileté avec laquelle elle a su tirer parti des lois absurdes que l’Espagne imposait à ses colonies. À chaque progrès du régime de la libre concurrence, soit

  1. Les pièces justificatives sont aux archives du Tallard.
  2. Mémoires sur l’administration des finances depuis le 20 février 1708 jusqu’au 1er septembre 1715, par Desmarets, contrôleur-général des finances. Paris, 1716.