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parmi nous, soit chez les peuples étrangers, quelques-uns des avantages que Saint-Malo devait au régime contraire se sont déplacés au profit des lieux où les appelaient les lois imprescriptibles de l’équilibre. L’accomplissement de cette révolution a produit un bien général, mais aussi une décadence locale, et il est désormais impossible de reconstituer pour Saint-Malo les bases anéanties des prospérités passées. Ce n’est point une raison de se décourager. La population qui fit tant de grandes choses montait naguère à l’abordage à la voix de Robert Surcouf, comme autrefois à celle de Duguay-Trouin, et le commerce de Saint-Malo n’a rien perdu de cet esprit entreprenant, quoique réservé, de cette intelligente probité qui le classent parmi les plus recommandables de l’Europe. Avec ces élémens, de nouvelles prospérités peuvent s’asseoir sur des bases plus solides que les anciennes : enracinées dans notre propre sol, ces bases sont à l’abri des vicissitudes des législations étrangères, et dès long-temps connues, il ne s’agit que de les féconder. Des pas nombreux sont déjà faits sur la route qui conduit à ce but ; mais il semble, aux omissions essentielles qui ont été commises, qu’on ne l’ait que confusément aperçu. Les détails suivans montreront peut-être combien le port de Saint-Malo et le pays adjacent ont à attendre l’un de l’autre.

Il est des villes maritimes qui sont devenues, par leur propre force d’attraction, le foyer d’un mouvement presque universel : telles sont celles d’Amsterdam et de Londres. Dans d’autres, plus nombreuses, la navigation est principalement alimentée par l’industrie et les besoins de populations agglomérées dans l’intérieur des terres et rattachées à la mer par de faciles communications : Manchester fait valoir le port de Liverpool, Florence celui de Livourne, Paris celui du Havre. Lyon celui de Marseille. Il semblait que l’ouverture d’un canal de 85 kilomètres de long entre Rennes et l’atterrage de la Rance dût être pour le port de Saint-Malo le commencement d’une ère nouvelle : il n’en a rien été. Quoiqu’il aboutisse à une ville de près de quarante mille âmes, le canal d’Ille-et-Rance ne présente, après seize années de navigation, qu’une circulation de 30,000 tonneaux, telle que celle qui, dans les pays de mines et d’usines, anime quelquefois de simples chemins vicinaux, et le produit du péage n’y couvre que le tiers des frais d’administration[1].

Ce mécompte tient à plusieurs causes, au premier rang desquelles se placent les habitudes et les tendances de la population de Rennes, Ces mœurs, formées sous un régime qui n’est plus, s’y rapportent

  1. La moyenne des exercices 1847, 1848 et 1849 est pour la circulation de 29,890 tonneaux, pour le produit du péage de 36, 614 francs, et pour les frais d’administration et l’entretien de 107,612 francs. Au déficit annuel il faut ajouter l’intérêt d’un capital de 14,240,000 fr. consacré à l’établissement du canal.