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un rare désintéressement, ces caisses n’en avaient pas moins devant elles le gouffre de la banqueroute. Plusieurs de ces associations, trop faibles pour vivre isolées, ont consenti à se réunir en une seule, qui a pris le nom de l’Alliance. Placée sous un patronage intelligent et dévoué, cette société réunit dans ses statuts toutes les conditions de succès compatibles avec le maintien des pensions viagères[1]. Depuis qu’une caisse générale des retraites a été fondée sous la garantie de l’état, depuis que la loi sur les sociétés de secours mutuels a interdit de promettre des pensions à celles qui voudraient être déclarées établissemens d’utilité publique, il est indispensable que les institutions de cette espèce renferment leur action dans le cercle des secours temporaires. La Société d’émulation chrétienne de Rouen, qui a su prendre ce parti, est la plus nombreuse de toutes et paraît la plus assurée de son lendemain; mêlant à l’idée d’assistance une pensée de fraternité chrétienne souverainement sympathique aux tendances de notre époque, elle cherche non-seulement à réunir les épargnes individuelles, mais à former un lien entre les âmes. L’instruction morale figure dans son programme; chaque mois, les sociétaires sont appelés à une conférence religieuse qui se tient alternativement dans l’une des quatorze paroisses de la ville. Ce qu’il faut dire à l’avantage de toutes les sociétés mutuelles de Rouen, malgré les bases fragiles de quelques-unes, c’est qu’elles sont constamment demeurées dans leur sphère. On n’en cite aucune qui ait songé à s’immiscer dans la politique ou à se placer sous le patronage des sectes socialistes.

Les associations de secours mutuels forment pour la société industrielle un élément d’ordre qui puise le plus souvent sa sève en dehors des ouvriers mêmes. Des essais de rapprochement et de hiérarchie d’un autre genre, très dignes d’attention, quoique généralement ignorés, naissent dans divers ateliers du sein des travailleurs, sans mélange d’aucun concours extérieur. En des temps d’agitation comme ceux où nous vivons, quelques symptômes inquiétans apparaissent çà et là dans ce mouvement intime des fabriques. On y découvre cependant, en allant au fond des choses, cette idée, que l’autorité, c’est-à-dire l’unité, et l’ordre, c’est-à-dire l’harmonie, sont indispensables pour la conduite d’intérêts collectifs. Chercher à sauvegarder la liberté de l’ouvrier dans les transactions relatives au travail, telle est au fond la tendance de ces ébauches d’organisation. Il faut n’avoir aucune idée de la vie et du régime de nos grands ateliers pour représenter

  1. Une des sociétés les plus anciennes et les plus justement estimées, celle de Saint-Gustave, dirigée depuis sa fondation, en 1828, par un simple ouvrier ourdisseur, tient jusqu’à ce jour ses comptes en équilibre avec deux cent cinquante membres environ, bien qu’elle promette et serve des retraites, et qu’elle exclue tout patronage étranger. C’est une exception à signaler; mais combien durera-t-elle?