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à se faire sa place partout, n’en est pas moins parvenu à se glisser sous une certaine forme parmi les paisibles habitans de Flers. On consacre la semaine au travail, on réserve le dimanche pour le cabaret. Durant six jours, on n’a guère bu que de l’eau; le dimanche, on prend largement sa revanche, et on s’abandonne à des excès qui produisent généralement une ivresse tapageuse, violente, agressive, et nécessitent souvent l’intervention des gendarmes. Cette débauche hebdomadaire, contre laquelle échouent les recommandations du clergé, est tellement passée dans les usages, qu’elle ne choque personne. On demandait à une belle jeune fille qui allait épouser un garçon renommé dans les querelles de cabaret si elle ne redoutait pas un peu les habitudes désordonnées de son futur : « Oh! non, répondit-elle, il ne s’enivre que le dimanche. » Cette part faite au mauvais côté de l’ame humaine, les mœurs des tisserands de Flers se maintiennent à peu près intactes, malgré le grand nombre d’étrangers que la prospérité commerciale a amenés dans ce pays. Si pourtant la physionomie un peu patriarcale des coutumes populaires doit se modifier à la longue, c’est par l’envahissement du dehors qu’il faudra expliquer cette altération. On a déjà pu s’apercevoir que, dans les communes où se sont installées quelques filatures de coton, la moralité publique a faibli, et que des scandales ignorés jusque-là s’y sont produits.

L’hostilité haineuse entre les ouvriers et les patrons, qui tourmente d’autres contrées, ne se fait point sentir dans celle-ci. On y rencontre cependant des intérêts divers, par exemple ceux des tisserands et ceux des entrepreneurs d’industrie, fabricans ou commissionnaires, qui donnent les chaînes à tisser. Les ouvriers des campagnes ont même eu à se plaindre dans le mesurage de ces chaînes de crians abus que les fabricans, réduits à eux-mêmes et pressés par la concurrence, étaient impuissans à déraciner. Qu’ont fait alors les tisserands de Flers? Ils ont signalé le mal à l’autorité, sans violence, sans accuser les intentions de personne. Aussi, depuis le maire de leur village et le préfet du département jusqu’au gouvernement et à l’assemblée nationale, ils ont rallié tout le monde à leur cause, et ils ont obtenu la loi sur le tissage et le bobinage, qui pourvoit à la juste garantie des intérêts engagés dans cette question. Ces ouvriers ne manquent pas de fierté personnelle, mais ils l’associent à une certaine déférence pour les situations plus élevées. L’idée instinctive que toutes les positions sociales sont rattachées les unes aux autres par un lien indissoluble donne naissance à la pensée d’un devoir à côté de celle d’un droit. Peut-être pourrait-on signaler à Flers quelques efforts de propagande au profit de l’agitation politique, mais ces tentatives se sont brisées jusqu’à ce jour contre le sens droit et religieux de la population.

L’élégante industrie à laquelle la ville de Caen donne son nom, et