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Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/762

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politiques ce fameux serment d’Annibal, s’ils ont juré de délivrer le pays de la féodalité parlementaire, c’est que le zèle de la contre-révolution les enflamme. Laissez-les faire : ils vont organiser la contre-révolution dans le peuple et par le peuple ; ils ont leur étoile ! Les assemblées sont le dernier refuge de l’agitation révolutionnaire, l’obstacle malfaisant entre le peuple et le pouvoir ; leur étoile prévaudra contre les assemblées ! Non, le pays ne s’y trompera point. Le révolutionnaire, le démagogue dans le sens antique et toujours jeune du mot, n’est-ce pas au contraire celui qui, n’estimant de rien les institutions établies, seuls instrumens d’un gouvernement régulier, s’arroge du droit de son orgueil, ou par l’infirmité même de sa propre infatuation, une sorte de commerce privilégié avec la masse entière du peuple, avec la masse vague, flottante, irresponsable ? N’est-ce pas celui qui dit sans cesse : « Le peuple et moi ! moi et le peuple ! « comme si les deux étaient incarnés l’un dans l’autre, comme si tout intermédiaire légal devait aussitôt disparaître dans l’intimité de ce rapprochement providentiel !

Nous ne voulons pas, quant à nous, croire le gouvernement des assemblées aussi malade qu’on essaie de nous le persuader. Nous pensons même que le pouvoir législatif ne serait à aucun moment plus près de retrouver tout le prestige dont il a jamais été investi qu’au lendemain du jour où il aurait une fois semblé sérieusement menacé dans sa légitime prépondérance. L’attitude de l’assemblée en face de cette communication singulière qui lui venait du pouvoir exécutif a été suffisamment forte et contenue. Nous ne nous résignons pas à nous figurer que ce soient là les derniers tressaillemens de l’indépendance parlementaire. Cette quinzaine a été tout entière occupée par la grande pièce du message ; le drame a eu son exposition et son dénoûment. Qu’il se soit rencontré durant ces jours qui passaient si vite des hésitations, peut-être même des défections ; que tous n’aient pas été aussi jaloux de l’honneur parlementaire ou aussi rassurés sur les intentions du président, ce n’est pas de quoi s’étonner beaucoup. L’essentiel, c’est que la majorité prise en corps n’aura été ni faible ni provocatrice vis-à-vis du prince Louis Bonaparte ; faiblir, c’était donner sa démission ; provoquer, c’était s’exposer à porter devant le public toute la faute d’une brouille dont le parlement cette fois n’est en rien coupable. Nous le disons du fond de l’aine, parce que nous l’éprouvons autant que qui que ce soit, il y avait aussi dans bien des esprits un sentiment qui les invitait à la modération plutôt qu’à la rancune. C’était le chagrin de voir briser l’union si nécessaire du président et de la majorité, c’était la crainte de manquer de reconnaissance pour les services rendus, et peut-être aussi de se priver, par une brusque rupture, des services qu’on pouvait encore attendre. Ces incertitudes ont probablement pesé beaucoup, au moment du scrutin d’hier, sur la conscience des membres de la majorité qui ont jugé à propos de l’abandonner, et c’est ainsi qu’elle aura été réduite à 353 contre 347. Avec la meilleure volonté du monde, nous ne pouvons cependant prendre sur nous de reconnaître, chez tous les dissidens sans exception, des motifs aussi purement évangéliques. Fallait-il aller jusqu’à une seconde lecture pour rejeter le projet de loi électoral du ministère ? Quelques âmes scrupuleuses auront trouvé dur d’y mettre si peu de procédé ; n’en est-il point pourtant, parmi ces quarante ou cinquante défectionnaires, qui ont reculé, soit par l’appréhension de quelque