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Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/763

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fâcherie, soit par le désir de faire une certaine figure à eux en se distinguant des autres et d’avoir aussi leur petit bout de pavillon ? Nous n’ajoutons rien, nous ne nommons personne ; mais nous ne pouvons franchement supposer que lorsque, d’une manière ou de l’autre, la question électorale sera remise en jeu, les défectionnaires ou s’abstiendront ou voteront encore avec la gauche. L’éloquence de M. Michel (de Bourges), tout en devenant chaque jour plus engageante et plus civilisée, n’est pas assez pleine de raisons et de choses pour produire à elle seule le miracle de ces conversions. Il faudrait donc leur chercher d’autres causes.

Ainsi la majorité n’a point encore failli dans cette épreuve, dont les périls croissent à mesure qu’elle se prolonge ; elle s’est retirée très à temps de tous les faux pas ; elle a laissé tomber la proposition d’un comité d’enquête mise en avant par M. Berryer, qui s’est tout de suite aperçu, avec son tact ordinaire, que le vent ne soufflait pas à ces excès d’audace ; elle a ramené, par le grand calme dont elle l’a reçue, la proposition trop guerrière des questeurs à n’être plus qu’une manifestation raisonnable et peut-être nécessaire pour rehausser l’autorité effective du parlement. Enfin, jusque dans l’empressement avec lequel elle va discuter lundi le droit électoral, elle a montré l’amour de la conciliation ; irait-elle oublier maintenant mal à propos que cet amour n’est plus une vertu dès qu’on l’exagère ? Le message a donc joué de malheur : il a rencontré des adversaires de sang-froid. Ce n’est pas tout : il a été soutenu par la montagne ; cela va de soi. Quelque chose de pire encore : il a été défendu par le ministère ! La séance d’hier nous empêche de parler comme il faudrait des ministres qui ont si tristement fourni leur première campagne ; il n’est jamais séant d’accabler les malheureux, et ceux-là ont été tellement abattus sous le faix de leur propre impuissance, qu’on serait presque tenté de les plaindre plutôt que de les accuser, s’ils avaient eu seulement quelque raison pour s’embarquer dans cette galère. On ne s’improvise pas orateur, et l’on ne saurait faire un crime à quelqu’un de n’avoir point la langue déliée ; mais si mal qu’on parle et si excusable qu’on soit de mal parler, on est toujours tenu d’avoir un grain de consistance, lorsque l’on aspire à la qualité d’homme public, et c’est un bizarre échantillon de gouvernement que ce cabinet dont les membres semblent prendre à tâche de se contredire entre eux après s’être autant que possible contredits eux-mêmes. Il y a quelque chose qui donne aux plus simples mortels de la suite dans les idées et de la fermeté dans la tenue : c’est ce qu’on appelait autrefois le caractère. Le peu qu’il en reste dans ce temps-ci s’est assurément réfugié ailleurs qu’au sein du ministère. On a beau y porter haut la tête, c’est toujours le masque de la fable, et la meilleure excuse de la grande aventure que l’on court, elle est là ! Autrement, comment pardonner, je suppose, à M. Giraud, d’être devenu si vite un amant si passionné du suffrage universel ?

M. de Thorigny n’a pas été non plus très heureux dans la façon dont il a soutenu les interpellations de M. Sartin. Ç’a été un précédent de mauvais augure pour son naufrage d’hier. M. Léon Faucher lui a montré, avec un à-propos auquel l’assemblée a rendu tout de suite hommage, ce que c’était que d’accepter la responsabilité du pouvoir : ce n’est pas lui qui consentirait si légère-