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de modèle, » — et il ajoutait discrètement : « et qui ne doit pas en servir. » — L’irascible poète se fâcha ; si nous disions aujourd’hui des Gaietés champêtres ce que M. de Féletz disait alors des Natchez, non-seulement M. Janin ne se fâcherait pas, mais, par amour pour la bonne littérature, il serait de notre avis.


ARMAND DE PONTMARTIN.


ESSAI SUR AMYOT ET LES TRADUCTEURS FRANÇAIS AU XVIe SIECLE, par M. Auguste de Blignières<ref> 1 vol. in-8, chez Auguste Durand, rue des Grés, 5. < :ref>. — Parmi les traducteurs français, un seul s’est fait une réputation à part, et où il entre presque autant d’admiration pour la copie que pour le modèle. Montaigne, un fin connaisseur, donne à Amyot la palme sur tous nos écrivains. Quoi rare mérite valut au bon évêque d’Auxerre cette singulière fortune? Le choix de l’auteur traduit y fut pour beaucoup, la langue de l’interprète pour davantage. Outre Plutarque, Amyot avait traduit Théagène et Chariclée, roman d’Héliodore, Daphnis et Chloé, pastorale de Longus, et une partie de la Bibliothèque historique de Diodore de Sicile. Il avait mis son talent partout, embelli la fable d’Héliodore en termes et langage des plus élégans, comme dit Du Verdier, rendu quasi-chastes, à force de candeur naïve dans la version, les inventions ingénieusement libertines de Longus, et prêté jusqu’aux arides compilations de Diodore quelque chose des charmes qui lui sont naturels, la vivacité de l’image et la jeunesse du sentiment. Aucune de ces traductions pourtant ne lui a rapporté l’honneur de la première. D’un autre côté, les traducteurs de Plutarque se trouvèrent nombreux, avant et après Amyot. L’Italie, l’Allemagne et l’Espagne avaient précédé la France, et une quantité de traductions françaises suivirent celle d’Amyot; parmi celles-ci, quelques-unes plus correctes et écrites en un langage plus mûr. Et néanmoins aucune ne l’effaça, ne l’égala même auprès du public. On l’avait accueillie avec enthousiasme, on en revient toujours à elle. Rien n’a pu en faire tomber la faveur constante, ni les critiques les mieux fondées, ni les tentatives nouvelles les plus heureuses.

Ce qui nous ravit encore aujourd’hui chez Amyot, ce sont les vieilles et admirables façons de s’exprimer, la période abondante et doucement colorée. C’est une œuvre où il y a du poète et de l’enfant, et par-dessus tout une belle ame, qui semble laisser couler sa pensée dans la pensée d’autrui, tant le disciple s’abandonne au maître et ne fait qu’un avec lui. Aussi était-il désirable qu’une étude spéciale nous permît enfin de contempler sous son vrai jour cette aimable figure. Un jeune écrivain qu’une mort prématurée vient d’enlever aux lettres, M. de Blignières, a consacré à l’éloge d’Amyot, à l’examen de ses divers ouvrages, à l’histoire de la traduction au XVIe siècle, un livre écrit dans ses diverses parties d’une plume toujours élégante, et qui abonde en curieuse science comme en bons jugemens. C’est l’œuvre d’un esprit sain et d’un écrivain de goût. M. de Blignières était appelé à des succès légitimes dans le domaine trop négligé aujourd’hui de l’histoire littéraire; à en juger par l’Éloge d’Amyot, il y eût porté un goût sévère et délicat, relevé par une érudition solide.


P. ROLLET.


V. DE MARS.