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tournâmes vers l’est pour franchir les arides coteaux qu’ont envahis, au nord de la ville, d’innombrables sépultures, et, sortis sans encombre de ce champ des morts, nous gravîmes la colline sur laquelle sir Hugh Gough, le 24 mai 1841, avait établi son quartier-général. De ce point culminant, nous découvrions le lointain horizon des montagnes, les vertes vallées aux plans indéfinis, les nombreux embranchemens du fleuve et les joyeux hameaux dispersés dans la plaine. A notre droite s’étendait le champ de manœuvre consacré au tir de l’arc et de l’arquebuse; à gauche, les fertiles jardins que borne la rivière. On voyait les voiles jaunes glisser au milieu des prairies, les robustes coulis se hâter le long des sentiers, les tigres du Céleste Empire se promener, la pique sur l’épaule, devant la porte de l’éternel repos. C’était un panorama plein de vie et d’étrangeté; mais la ville tartare, protégée par sa haute ceinture, ne nous laissa voir que les échafaudages à la cime desquels s’établissent les guetteurs de nuit et l’espèce d’acropole que domine de son gracieux clocher la pagode aux cinq étages. Notre guide s’empressa de nous arracher aux charmes de ce spectacle. Il avait remarqué, disait-il, que les Chinois n’inquiétaient jamais un voyageur en marche, mais s’attroupaient facilement autour du promeneur indécis qui s’arrêtait sur la route. Ahasvérus eût pu, suivant lui, traverser avec impunité la Chine entière. Il nous fallut donc reprendre notre course haletante, et regagner les factoreries en passant au milieu du faubourg qui s’appuie à la face méridionale de l’enceinte.

Le vice-roi qui réside à Canton gouverne les deux provinces du Kouang-si et du Kouang-tong; il étend sa juridiction sur quatre cent sept mille kilomètres carrés, — les quatre cinquièmes de la surface de la France, — et se trouve investi de la direction suprême de vingt-sept millions d’ames. La Chine renferme ainsi neuf royaumes distincts, séparés de la ville impériale par d’énormes distances que la difficulté des communications rend plus considérables encore. Canton, situé à deux mille kilomètres environ, à trente jours de route de Pe-king, est, comme la capitale du Su-tchuen, comme celle du Kiang-nan, comme celles des dix-huit autres provinces groupées deux à deux sous le gouvernement d’un vice-roi, le siège d’une administration qui n’a besoin de recourir qu’en de rares occurrences à la source d’où émane en Chine toute autorité. Malgré cette complète délégation de pouvoirs, le fils du ciel n’a jamais vu les grands dignitaires de l’empire lever l’étendard de la révolte et affecter le rôle si souvent usurpé par les pachas musulmans. Le servilisme général des esprits, le dévouement pusillanime des mandarins, ont dû contribuer à éteindre ces ambitions viriles et ces pensées de rébellion; mais le mécanisme du gouvernement est aussi fait pour les prévenir. Les mandarins ne sont jamais employés dans la province qui les a vus naître, et ils exercent