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arbres du parc se montraient pour la plupart dépouillés de leur feuillage; les intempéries de plusieurs hivers avaient effacé depuis long-temps les brillantes couleurs dont on pouvait apercevoir encore la trace sur les galeries vermoulues des ponts et sur la façade fanée du pavillon dans lequel nous attendait le vice-roi Ki-ing. Ce kiosque aux corniches retroussées, aux moulures bizarres, s’élevait, soutenu par huit piliers de granit, du sein d’un étang fétide, dont les eaux dormaient appesanties sous les larges feuilles des nénuphars. Il y avait je ne sais quelle apparence de déclin et de vétusté répandue sur tout ce paysage qui suffisait pour en détruire le charme et pour lui imprimer un cachet de maussade tristesse.

Le vice-roi nous reçut avec toutes les démonstrations empressées de la politesse chinoise, démonstrations imitées à l’envi par les nombreux mandarins dont le gouverneur-général de Canton était entouré. Il y a loin de la familiarité obséquieuse, de la curiosité impertinente dont les fonctionnaires chinois firent preuve dans cette entrevue, à la dignité naturelle, à la réserve si pleine de convenance et de bon goût qu’on rencontre d’ordinaire chez les officiers turcs. On a peine à prendre au sérieux ces hommes d’état qui jouent avec les revers de votre habit, en étudient les paremens brodés et ne voient dans les lettres de créance d’un ambassadeur qu’un parchemin curieusement illustré qu’il faut se hâter de soumettre à l’examen de tous ces familiers de bas étage qui assistent en Chine aux conférences les plus secrètes. Ki-ing, aussi peu sérieux, il faut en convenir, aussi peu grave dans ses allures que les mandarins subalternes qui s’empressaient auprès de ses hôtes, devait avoir alors environ soixante ans. Sa taille droite, sa démarche assurée, semblaient lui promettre une verte vieillesse, et sous les plis efféminés de sa longue robe chinoise on pouvait encore deviner l’intrépide Tartare qui avait plus d’une fois percé de son épieu les tigres ou les ours dans les forêts de la Mantchourie. La physionomie du vice-roi ne répondait point d’ailleurs à notre attente. On y pouvait reconnaître un caractère général de simplicité et de bienveillance; mais il eût été difficile d’y trouver l’expression d’une intelligence supérieure et de lire sur ce front peu développé, dans ce regard terne et indifférent, l’habileté politique dont Ki-ing avait donné tant de preuves pendant les négociations de 1842 et au milieu des complications qui avaient suivi le traité de Nan-king. Membre de la famille impériale, Ki-ing avait dû cependant, comme le plus humble des Chinois, conquérir par son mérite personnel le rang élevé qu’il occupait dans l’empire. Les emplois publics sont rarement dévolus en Chine aux parens de l’empereur. La plupart de ces princes, dont le nombre s’est considérablement accru depuis deux siècles, végètent dans l’oisiveté, souvent dans la misère, et n’ont d’autres ressources que la faible pension qui leur est