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accordée. Le despotisme courbe toutes les têtes sous le même niveau. Chacun, en Chine comme en Turquie, est le fils de ses œuvres et de la faveur impériale. Le mot de parvenu ne serait point compris des Chinois. Il existe, il est vrai, dans le Céleste Empire des titres de noblesse héréditaires qui, baissant d’un degré à chaque génération, ne sont complètement éteints qu’à la cinquième ; mais ces titres ne confèrent aucun privilège. Ils n’ont de valeur qu’autant que le souverain en confirme le lustre par une nouvelle investiture. Les membres de la famille impériale, les nobles chinois ont aussi peu d’influence sur les affaires de l’état que les riches particuliers qui obtiennent, par leurs libéralités envers le trésor public, le bouton et le rang de mandarin. Parmi les grands officiers de l’empire, il en est peu qui puissent se vanter d’une illustre origine. Le conseiller intime du vice-roi, le mandarin à l’influence duquel la rumeur publique attribuait en partie l’habileté diplomatique de Ki-ing, Houan, était né dans le Shan-tong de parens obscurs. Parvenu au rang de mandarin du second ordre, membre du collège impérial des Han-lin, il s’était vu accusé par ses ennemis de malversation et de partialité vénale dans les examens qu’il était chargé de présider. Une sentence rigoureuse l’avait précipité du faîte des honneurs au bas de l’échelle officielle. Avec cette patience résignée dont les Orientaux ont seuls le secret, Houan était occupé, quand il nous fut présenté par le vice-roi, à gravir de nouveau les nombreux degrés qu’il avait si brusquement descendus. Le bouton bleu décorait déjà son bonnet de feutre encore veuf de la plume de paon. On eût pu remarquer toutefois une certaine teinte de mélancolie empreinte sur ce front intelligent qui semblait garder la trace de la foudre impériale. Au milieu des figures basses et serviles qui entouraient le vice-roi, le regard expressif, la physionomie noble et régulière du conseiller intime inspiraient une sympathie si invincible, que chacun de nous se fût senti disposé à prendre parti pour le fonctionnaire dégradé contre ses accusateurs ou ses envieux. Ki-ing, il faut le dire à sa gloire, n’avait point abandonné son protégé dans sa disgrâce. À la confiance absolue qu’il ne craignait point de lui témoigner en public, on pouvait juger que le vice-roi protestait intérieurement contre un arrêt qui n’avait probablement frappé dans la personne de Houan qu’un des champions de cette cause modérée dont on n’osait encore attaquer le chef.

Il n’y a point en Chine de conférence diplomatique sans banquet. Un dîner de trente couverts nous attendait dans une salle basse précédée d’un péristyle à colonnes et mal éclairée par les rayons obliques qui tombaient d’en haut sur une cour intérieure. Bien enveloppés de leurs chaudes pelisses, les mandarins défiaient la température humide et froide dont nous préservait très imparfaitement le maigre tissu de