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d’acier présente la petite boule d’opium allumée à la flamme d’une bougie. Deux ou trois aspirations épuisent ces doses de narcotique que le fumeur, couché sur un divan, renouvelle jusqu’au moment où sa félicité est complète. Si l’on en croit la plupart des négocians européens, c’est l’abus et non l’usage de l’opium qui produit cet amaigrissement effrayant que l’on observe chez les fumeurs invétérés; mais il ne paraît que trop certain qu’un attrait invincible ramène sans cesse vers ce fatal plaisir le malheureux qui l’a goûté une fois. Les fumeurs modérés sont rares. Ceux au contraire que cette impérieuse habitude conduit au crime ou au désordre en abrégeant leur existence sont en très grande majorité, surtout dans les provinces du littoral. Cet oubli de soi-même, cette intoxication que les peuples du Nord demandent aux liqueurs fortes, les Orientaux les ont cherchés dans la fumée de l’opium. La nature a créé des plaisirs et des goûts divers pour tous les climats; mais il faut confesser que le peuple qui a pu se laisser séduire par cette horrible saveur du laudanum était bien digne de trouver pour aiguiser son appétit l’affreux assaisonnement de l’huile de ricin.

Notre promenade à Cum-sing-moun nous réservait d’ailleurs un double intérêt sur lequel nous n’avions pas compté : nous n’avions eu en vue que d’étudier une station d’opium, et nous trouvâmes l’occasion d’observer les campagnes chinoises. Le capitaine Endicott nous engagea vivement à ne pas retourner à Macao sur le Gipsy, et nous offrit des chevaux pour regagner, en traversant l’île de Hiang-shan, la péninsule que nous avions quittée le matin même. Nous ne pûmes résister à une offre aussi séduisante. Quatre chevaux furent embarqués dans une chaloupe; nous prîmes terre sur la côte occidentale de la baie, et nous nous dirigeâmes au grand galop vers un village chinois, dont les habitans. loin de paraître offensés de notre audace, nous saluaient en passant d’un sourire de bonne humeur. L’île de Hiang-shan nous rappelait l’aspect des champs de la Provence dans les premiers jours du printemps. Les arbres ne se montraient qu’à de rares intervalles, mais presque toujours groupés en délicieux bouquets de verdure. Nous pénétrions avec ravissement sous ces dômes pleins de fraîcheur. Ce qui égayait surtout le paysage, c’était la quantité innombrable de petits ruisseaux qui descendaient de tous côtés des collines pour arroser les rizières. Le riz ne se plaît que dans une vase liquide. Il faut que chaque champ soit entouré d’un boulevard de terre qui retienne les eaux et divise le sol en terrasses superposées les unes au-dessus des autres. Dans un coin croissent les jeunes pousses qui, lorsqu’elles auront atteint neuf ou dix centimètres de hauteur, seront transplantées en petites touffes séparées par un intervalle de trente ou quarante centimètres. Il faut voir les femmes, les pieds dans la vase, se livrer du matin jusqu’au soir à ce pénil)le travail. La Providence a donné au