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maison la plus gracieuse, la plus cordiale hospitalité. Une fois entré dans la famille du comte Wilhorwsky, M. Solohoupe n’eut que trop d’occasions de satisfaire les instincts du dilettante aux dépens de ceux du poète. Les soirées musicales qui s’y succédaient presque sans interruption, les relations et les devoirs de la vie du monde, créèrent à M. Solohoupe une foule d’occupations peu compatibles avec les exigences de la vie littéraire. La noble idée d’assigner aux fêtes musicales qu’il se plaisait à organiser un but de bienfaisance fit peser encore de nouvelles obligations sur cette vie déjà si occupée. M. Solohoupe fonda sur une large échelle une société de bienfaisance : il en rédigea lui-même les statuts, et aujourd’hui cette association compte parmi ses adhérens tous les membres de la famille impériale, les représentans des plus nobles familles et des plus riches maisons du commerce russe.

C’est ainsi, c’est en dépit de toutes les dissipations mondaines, que s’est formé l’un des plus spirituels conteurs de la Russie moderne; c’est encore au milieu de ces distractions multipliées que M. Solohoupe trouve le temps d’écrire quelques-uns de ces récits dont le public russe admire à si bon droit la conception ingénieuse, la forme sobre et châtiée. Depuis l’époque de son retour à Saint-Pétersbourg, la vie de M. Solohoupe n’a plus offert de remarquable que cette conciliation si laborieusement opérée entre les devoirs mondains et les travaux littéraires. Des devoirs plus impérieux encore sont venus d’ailleurs s’ajouter, pour M. Solohoupe, à ceux dont nous avons parlé : M. Solohoupe est chambellan, et c’est ici le lieu de remarquer que la plupart des grands écrivains russes ont rempli des fonctions élevées : Griboëdoff était ambassadeur à la cour de Perse, Derjavine (le Jean-Baptiste Rousseau moscovite) était ministre de la justice; Joukowsky, le poète élégiaque. a dirigé l’éducation d’un grand-duc héritier. Le service public est une nécessité à laquelle nul ne peut se soustraire en Russie. Pierre-le-Grand en fit une loi positive. Nous ne sachons pas que la loi ait été rapportée; mais, dans tous les cas, ce que nous pouvons affirmer, c’est que les mœurs en ont gardé l’esprit. La vie uniquement oisive de fantaisie et de plaisir est inconnue dans l’empire moscovite; ni l’éclat du talent, ni celui de la fortune ne sauraient la justifier; une déconsidération profonde ne manquerait pas de s’attacher au jeune homme qui croirait pouvoir braver à cet égard l’opinion publique. La littérature, bien qu’acceptée comme fait en Russie, n’est point encore reconnue comme profession et ne constitue pas une position sociale : il faut tenir à la société par des devoirs réguliers et positifs, des devoirs que chacun connaisse, être attaché au service de l’état, à une chancellerie quelconque, à la cour, à l’armée, n’importe, et parcourir ainsi l’échelle hiérarchique qui régularise la société russe. Ces devoirs ne sont d’ailleurs ni assez rudes, ni assez exigeans pour faire obstacle, aux travaux de l’esprit et de