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ne voit pas qu’il ait pour elle autre chose que du respect. Son plaidoyer en faveur de Voltaire ne prouve rien, et n’amnistie pas Voltaire des écarts de sa plume. Il le justifie très bien de l’accusation d’être athée ; il le présente comme un déiste convaincu et un fervent disciple de la morale naturelle. Singulière façon, on en conviendra, de répondre aux accusations lancées par un mandement épiscopal ! En quoi, aurait-on pu répondre à Mallet, le déisme et la morale naturelle importent-ils à un chrétien ? En quoi le déisme de Voltaire l’a-t-il empêché d’être un ennemi de la religion chrétienne ? Mais au XVIIIe siècle on avait tellement oublié ce que c’était que la religion et le christianisme, que quiconque était lavé du reproche d’être athée passait aussitôt pour le cœur le plus religieux et était tenu pour un saint. Aujourd’hui, les raisons que Mallet donne en faveur de Voltaire ne satisferaient personne, pas même ses adeptes et ses disciples ; mais alors (ce qui prouve bien le dépérissement de la pensée à la fin du XVIIIe siècle) elles durent paraître accablantes pour les adversaires de Mallet.

Mallet, du reste, par la nature de son esprit, dut avoir du goût et de l’admiration pour Voltaire. Voltaire, malgré toutes ses irritations, toutes ses invectives, est au fond très modéré. La mesure est le caractère de cet esprit en apparence si violent. Ce qui trompe sur son compte, c’est (et tel est d’ailleurs son plus grand défaut) qu’il se porte avec une vivacité extrême vers l’objet de son désir ; c’est qu’il veut avec la même force de volonté la plus petite comme la plus grande des choses, qu’il tend toutes les facultés de son ame vers la première bagatelle venue ; c’est qu’il met également en toutes choses son ardeur, son tempérament, sa colère et son amour. De là le ton perpétuellement satirique et, si nous osons ainsi parler, l’unité agressive de ses œuvres. Cependant quiconque dégage sa pensée de son langage passionné et ses sentimens de sa pétulance et de sa colère voit qu’ils peuvent se ramener à quelques idées pleines de mesure et de justesse, la religion, bien entendu, étant mise de côté. Les idées politiques de Voltaire et tout le côté de sa philosophie qui s’applique à l’ordre temporel durent évidemment plaire à Mallet, car ces idées sont essentiellement monarchiques et modérées.

Voltaire est donc pour beaucoup, nous le pensons, dans l’éducation intellectuelle de Mallet. L’autre élément qui a contribué à la formation de son talent, c’est l’esprit que tout jeune il avait pu puiser au sein de sa famille et de son pays, c’est Genève. Mallet est un Genevois dans toute la force du terme ; il a les qualités et les défauts de cette célèbre école ; il en a la précision dans l’examen des faits et la sécheresse dans l’expression, une tournure d’esprit constitutionnelle, très sagement démocratique et en même temps très impopulaire. Il n’a pas de qualités sympathiques et n’a jamais dû non-seulement convaincre, mais