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hautes régions de la société ; entrez, par exemple, à ces séances du parlement employées à discuter l’édit sur le timbre. C’est une de ces scènes parlementaires comme nous en avons tant vu, où les pouvoirs en lutte rivalisent d’aigreur. C’est le premier pas dans la résistance à l’autorité, et le ton acerbe qui caractérise les paroles que nous allons citer peut faire augurer du langage qu’on tiendra lorsque la résistance sera devenue la désobéissance, et que cette désobéissance aura triomphé. « Dans la séance de la première délibération du timbre (11 août 1787), M. d’Artois s’avisa de citer les Anglais, qui avaient cet impôt et dont nous imitions les modes, les voitures, etc. — Monseigneur, lui répondit M. Robert de Saint-Vincent, nous ne nous piquons pas d’imiter les Anglais, et vous devriez vous rappeler qu’ils ont détrôné sept de leurs rois et coupé le cou au huitième. Le comte ayant lâché quelques propos d’envoyer faire….. le parlement, M. de Saint-Vincent dit : Si Monsieur n’était pas le frère du roi, la cour devrait décréter sur-le-champ et le faire descendre à la Conciergerie pour avoir manqué de respect à cette assemblée. — M. d’Artois l’appelle Robert-le-Diable. »

Le comte d’Artois eut plus tard, sans doute, l’occasion de se rappeler les paroles prophétiques de Robert de Saint-Vincent. Ces paroles toutefois suggèrent une réflexion : si elles avaient été prononcées dans un autre pays, on n’y pourrait voir qu’une réponse ferme et énergique ; mais en France, pays d’obséquieuse politesse, où le respect a toujours pris la forme d’une déférence courtisanesque, et où nos rois, lorsqu’ils entendaient la vérité, ne l’entendaient jamais qu’enveloppée de discrètes réticences, elles peuvent à bon droit pronostiquer toute une révolution. Et les paroles du comte d’Artois, comment trouvez-vous qu’elles remplacent l’impérieuse insolence de Louis XIV disant aux prédécesseurs de ce même parlement : L’état c’est moi ? Les princes du sang parlent maintenant le langage le plus démocratique, à ce qu’il semble ; c’est le cas de s’écrier avec Edmond Burke : « L’âge de la chevalerie est passé. » Les esprits sont donc bien préparés pour une révolution. L’intrépidité de cynisme et d’insolence, l’audace de mensonge qui sont nécessaires dans les troubles civils existent déjà, et les soldats de ces troubles, ils existent aussi. On assiste dans les notes de Mallet à la naissance des types les plus curieux des émeutes modernes ; on commence la chasse aux mouchards, on brûle l’effigie de Brienne et celle de la reine, et pour célébrer l’inauguration du ministère Necker, on illumine le Palais-Royal. Le type du gamin de Paris, du gamin révolutionnaire, se révèle tout à coup. Le gamin met ses amusemens au service de l’émeute et lance dans les faisceaux d’armes des troupes ses pétards et ses fusées. Les clercs de la basoche, habitués du parterre, transportent leurs sifflets du théâtre au parlement. La curiosité politique commence à s’emparer du peuple, et, en attendant que le Père Duchêne lui permette d’être informé des affaires sans se déranger, il