estimé au même prix, et une fois, entre autres, on ne lui cacha pas les soupçons qu’inspirait un homme dont on ne connaissait pas les principes. Mallet leur rend, il est vrai, haine pour haine ; il les déteste cordialement, et dans ses lettres particulières, surtout dans celles qui sont adressées à M. de Sainte-Aldegonde, il exprime la profonde pitié que lui inspirent leur conduite et leurs injures : on croit rêver en voyant l’intolérance de ces exilés, à qui le malheur n’a pu inspirer le désir de se rapprocher, et qui poursuivent des périls fantastiques dans la personne de Malouet, de Mounier, de Montlosier, de Mallet. Le camp de l’émigration a aussi ses suspects ; on est suspect lorsque, par exemple, on a dîné ou on s’est entretenu avec Cazalès, anarchiste bien connu. Il a aussi ses terroristes, dont le plus remarquable est un M. d’Entraigues, à qui il arrive une fois de dire : « Montlosier me trouve trop violent, il a raison ; je serai le Marat de la contre-révolution, je ferai tomber cent mille têtes, et la sienne sera la première. » Çà et là quelques traits heureux, dignes de la comédie, viennent égayer ces tristes scènes. « Ne voyez-vous pas, disait un vieil émigré incrédule, devant qui on parlait des victoires de Bonaparte, ne voyez-vous pas que ce sont de vieilles gazettes de Louis XIV qu’ils font réimprimer ? »
Quelles folies ! et ne voyez-vous pas combien tout cela indique le dépérissement et l’affaiblissement moral ? Ces folies font mal à contempler, et le courage même que les émigrés déploient à certains momens et qu’ils emploient à des équipées sans but, ni plan, ni bon sens, ce courage et ces actions qu’ils appellent chevaleresques, produisent une impression pénible. Ces conspirations en l’air, ces échauffourées, où la défaite et la mort sont certaines, peuvent exciter la tristesse, mais non pas l’admiration ; elles sont chevaleresques, c’est possible, mais à coup sur elles ne sont pas belles, et elles ne sont pas belles, parce qu’elles ne sont pas sensées : l’enfant qui accomplit un acte téméraire, le vieillard qui forme une entreprise au-delà de ses forces, obtiennent, s’ils succombent, nos regrets et nos lamentations, non pas notre admiration, parce que leur dessein était contraire à toutes les lois de la raison et du bon sens. La décadence morale de cette triste époque explique seule ces témérités et ces projets dans lesquels la réflexion, la pensée, le jugement, n’entrent pour rien, et qui n’ont pour auxiliaires qu’un courage de tradition et la force d’un noble sang non encore épuisé.
Ce n’est là, à vrai dire, qu’une moitié de l’émigration : il y en a une autre plus sensée, quoique sans grand ressort et sans grande énergie ; on se repose du triste tableau que nous venons d’exposer en s’arrêtant sur ce petit groupe d’hommes qui ne voulurent jamais que le bien, qui le voulurent malheureusement avec trop peu d’énergie, et que composent Malouet, Mounier, Lally-Tollendal, le chevalier de Panat ; on s’intéresse aux vicissitudes de leur fortune et à leurs luttes