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contre l’adversité et le besoin. Mounier fonde pour vivre un pensionnat à Weimar, Malouet sollicite la place d’intendant de l’Adriatique, le chevalier de Panat s’inquiète du choix d’une profession ; le vif, nerveux, facilement irascible abbé de Pradt fait des projets de colonie agricole. Cependant, parmi tous ces émigrés où la vraie nature humaine se retrouve, il en est deux qui s’élèvent au-dessus des autres, le grand comte de Maistre, qui vient de sortir de la Savoie, et le brave et singulier Montlosier. C’est à Mallet que de Maistre adresse le premier écrit de sa plume, et il accompagne son envoi d’une lettre où se retrouve toute la verve comique, toute la satire sanglante, toute la violente bonne humeur qui le caractérisent. Montlosier se présente aussi à nous, mélange singulier de soldat et d’écrivain, battant les bois, couchant sous les arbres à l’armée, ne regrettant rien, sinon de ne pas trouver une bibliothèque au milieu des forêts et un cabinet de lecture dans chaque village : ces deux personnages nous réconcilient avec la nature humaine qu’au milieu de ce chaos d’horreurs et d’intrigues nous courrions grand risque d’oublier.

Il y a une question qui revient souvent dans la correspondance de ces honnêtes amis : — Comment cela finira-t-il ? Mallet voudrait espérer dans le rétablissement de la royauté ; mais il est découragé, aussitôt qu’il commence à espérer, par quelque nouvelle folie ou quelque faute des puissances, et par quelque coup d’état en France, car, depuis que la guillotine ne fonctionne plus, la déportation la remplace avantageusement. Cependant il s’accroche avec obstination à ses croyances ; il espère même après vendémiaire, même après Quiberon, même après fructidor. Il écrit des notes à Louis XVIII, dans le sens des opinions modérées qu’il professa toute sa vie, sur la ligne de conduite qu’il devrait tenir pour le cas où il aurait à monter sur le trône de France. Louis XVIII mit plus tard les conseils de Mallet en pratique ; mais, pour le moment, ce n’était point lui qui devait exécuter le plan du publiciste genevois. Dans ces notes, Mallet conseille deux choses principales : d’abord, l’acceptation pure et simple de la révolution ; en second lieu, une amnistie générale, afin de ne pas rejeter dans l’opposition et les rêves d’une nouvelle anarchie tous ceux qui ont été compromis dans la révolution. Celui qui doit mettre ce plan à exécution est déjà venu : vainqueur en Italie, on l’a vu en Suisse, d’où il exige l’expulsion de Mallet. On n’a pas assez remarqué, en effet, qu’une des bonnes fortunes de Bonaparte avait été d’être à même de faire plus aisément et plus sûrement ce que le rétablissement de la monarchie aurait pu faire à ce moment. Il s’engagea entre la France et lui un muet dialogue qui peut se résumer à peu près ainsi : « Voilà dix ans que vous êtes plongés dans l’anarchie et la guerre civile ; n’êtes-vous donc pas fatigués de guillotinades, de fusillades, de noyades et de déportations ?