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JUNIUS






I.

Le 21 janvier 1769, il parut dans un journal de Londres, the Public Advertiser, une lettre adressée à l’éditeur, Samson Woodfall, et signée du nom inconnu de Junius. Cette lettre, dont le ton était vif et grave, contenait une peinture sévère de la situation de la Grande-Bretagne et de la conduite de son gouvernement. Le ministère y était attaqué dans la personne de son chef et dans celle de ses membres, et, pour juger sur-le-champ de la violence de l’attaque, il suffit de savoir que cette lettre, assez longue, se terminait ainsi : « Considérez d’un coup d’œil une nation accablée par sa dette, ses revenus ravagés, son commerce en déclin ; les affections de ses colonies aliénées et le devoir du magistrat transporté à la troupe soldée ; une vaillante armée, qui ne combattit jamais à contre-cœur que ses concitoyens, réduite en poussière faute d’être dirigée par un homme d’une habileté et d’une ame ordinaire, et, pour dernier trait, l’administration de la justice devenue odieuse et suspecte au peuple entier. À cette déplorable scène, on ne peut ajouter qu’une chose : — nous sommes gouvernés par des conseils tels qu’un homme raisonnable n’en saurait attendre d’autre remède que le poison, d’autre soulagement que la mort.

« Si, par l’immédiate intervention de la Providence, il nous est possible d’échapper à une crise si pleine de terreur et de désespoir, la postérité n’en croira pas l’histoire des temps présens ; elle conclura, ou que nos désastres étaient imaginaires, ou que nous avions la bonne fortune d’être gouvernés par des hommes d’une intégrité et d’une sagesse reconnues ; elle ne croira pas possible que ses aïeux aient