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Donnez-moi donc le pouvoir, afin que je vous délivre de vos propres fureurs, et que je défende votre sécurité, vos propriétés contre vos ennemis. Vous n’avez rien à craindre de moi, et je n’ai pas à savoir si vous avez été bons ou méchans ; je n’ai pas, comme d’autres, à vous pardonner, car vos querelles civiles échappent à mes jugemens, et je ne connais aucun de vous ; je ne connais que mes soldats, qui rassureront ceux d’entre vous qui sont bons, et puniront ceux d’entre vous qui seraient désormais tentés d’être méchans. » Puis, poussant toujours le même raisonnement et lisant dans l’opinion publique avec la même pénétration, il ajouta un peu plus tard : « Dans le présent, vous n’avez rien à craindre, je réponds de tout ; mais dans l’avenir peut-être serez-vous livrés à ceux que vous craignez. Vous redoutez l’ancien régime ? eh bien ! je vais prendre son trône, m’y asseoir, moi et ma race, et commencer une nouvelle royauté dont vous n’aurez rien à redouter. » Voilà ce qui explique le consulat et l’empire, et la fortune de Bonaparte ; la lassitude présente de la France et ses terreurs pour l’avenir lui donnèrent le pouvoir et le trône. Mallet vit le 18 brumaire ; il ne vécut pas assez pour voir l’empire, qu’il avait prévu : il mourut en 1800, laissant les émigrés très convaincus que Bonaparte n’avait pris le pouvoir que pour le rendre au roi légitime.

La grande catastrophe est enfin close….. Hélas ! par combien de situations inconnues, pour parler comme Burke, la France ne passera-t-elle pas encore ! La fièvre est apaisée, le délire a cessé ; la santé va-t-elle se rétablir ? Cette corruption que nous avons montrée, ce dépérissement, ces vices scandaleux, vont pour un moment être recouverts par la gloire ; mais de telles décadences laissent après elles de longues infections. « Pauvre France ! écrit alors un célèbre Allemand, qui te relèvera ? Un homme peut-être, mais à coup sûr le temps. » Le grand homme est venu : il n’a pu qu’effacer et faire oublier le mal, et il ne reste plus que la ressource du temps. Tournons donc nos yeux vers l’avenir, et regardons si nous n’y verrons pas apparaître le miraculeux serpent d’airain ; mais ne tournons pas nos regards vers le passé : là, tout est malheur, peste, maladies. Ne prenons point de leçons de morale, comme ou nous a trop appris à le faire, dans ce fiévreux passé ; n’y cherchons pas les qualités qui nous manquent ; ne nous faisons pas d’illusion funeste sur la sublimité d’une époque où, quoi qu’on en dise, tout fut vicieux et gangrené, et rappelons-nous la belle parole de Royer-Collard : « La plus grande école d’immoralité, c’est notre histoire depuis cinquante ans. »


É. Montégut.