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du bel étranger, de ses correspondances, de ses bonnes fortunes à Saint-Pétersbourg, de sa liaison avec une belle comtesse. « … Ce n’est pas vrai ! s’écrie involontairement la jeune femme ; » puis elle se tait, car ce cri est presqu’un aveu de son amour. L’apothicaire s’empresse, on le comprend, de congédier l’indiscret ami du baron ; puis, après avoir eu un long entretien avec Charlotte, il va trouver M. de Fierenheim et lui demande si son séjour dans la petite ville doit se prolonger. La réponse du baron est affirmative. Alors l’apothicaire renonce à se contenir plus long-temps. « Écoutez-moi, monsieur, dit-il ; c’est moi qui vous remplaçai chez le père de Charlotte. J’appris l’amour que celle-ci avait pour vous, et, voyant sa tristesse, je proposai à son père d’aller m’informer à Saint-Pétersbourg si elle pouvait encore garder quelque espoir…. J’arrivai dans la capitale et acquis bientôt la conviction que vous étiez à jamais perdu pour elle. Je suis devenu son mari pour avoir le droit d’être son protecteur. Je pensai qu’elle finirait par oublier son amour. Le hasard vous a jeté dans notre petite ville. Charlotte vous a revu, j’étais tranquille, car je connais sa vertu ; mais, si j’avais pu penser que cet ancien amour fût toujours si puissant dans son cœur, croyez-moi, monsieur, j’aime trop Charlotte pour ne pas lui avoir fait un grand sacrifice : j’aurais disparu, vous n’auriez plus entendu parler de moi. La Providence n’a pas voulu qu’il en fût ainsi, et c’est Charlotte elle-même qui vous prie de vous éloigner sans retard. »

Le baron, sans répondre, fait demander des chevaux de poste. Au bout d’un an, ses affaires le ramènent dans la petite ville, et son premier soin est de se diriger vers la maison du pharmacien ; mais l’enseigne a disparu. Au moment où le baron contemple cette maison d’un regard inquiet, il voit venir à lui l’importun dont l’indiscrétion a été la cause indirecte de son départ ; et quelle réponse reçoit-il à ses premières questions sur le sort de Charlotte ? L’empressé donneur de nouvelles lui apprend que la femme de l’apothicaire est morte depuis sept mois.

Cette rapide analyse n’a pu guère donner une idée que du cadre d’une des plus charmantes nouvelles de M. Solohoupe. Ce qui distingue ce simple récit, c’est une délicatesse de touche si parfaite, qu’on y chercherait en vain une nuance hasardée. Le caractère de Charlotte, sa chasteté dans le culte intérieur qu’elle conserve à son amour de jeune fille, l’exquise pudeur qui règne dans l’expression de cet amour lorsqu’elle revoit, dans la maison de son mari, celui qui en est l’objet, tout cela compose un de ces types purs et gracieux, comme le roman moderne en a trop rarement créés. Quant aux caractères du baron et de Franz Iwanovitch, ils sont traités avec un tact infini ; l’ardent étudiant devenu homme du monde, l’apothicaire généreux avec bonhomie, et généreux pourtant jusqu’à l’héroïsme, sont des personnages