Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/88

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’une plume aussi fine et aussi délicate que celle de M. Solohoupe pouvait seule dessiner.

Dans la Femme de l’Apothicaire, les mœurs russes ne sont guère qu’entrevues; le petit roman dramatique intitulé le Yamtchik[1], qui suit cette nouvelle dans le recueil de M. Solohoupe, est au contraire fortement imprégné de couleur locale. Il y a donc quelque intérêt à en résumer brièvement la donnée.

Un régiment de hussards a pris ses cantonnemens dans un grand village de l’intérieur où se trouve un relai de poste. Une jeune fille de ce village se laisse toucher par les propos d’un élégant officier, une tendre liaison s’ensuit, et, lorsque le régiment quitte le village, la malheureuse Anouchka porte dans son sein les traces d’une coupable faiblesse. Tel est le prologue du roman, prologue séparé par vingt années de l’époque où l’action commence réellement. Vingt années après l’aventure de l’officier et de la jeune Anouchka, une riche berline s’arrête devant la maison de poste du même village[2]; un général en uniforme s’apprête à en descendre.

— Excellence, il n’y a pas de chevaux, lui dit en accourant le maître de poste... Votre excellence peut être assurée que je lui dis la vérité... il n’y a pas un cheval à l’écurie.

— Eh bien! j’attendrai, répond paisiblement le voyageur en mettant pied à terre.

Et le général regarde autour de lui, il examine les lieux et cherche à rappeler ses souvenirs. — Oui, c’est bien ici, dit-il enfin, et il se met à questionner un ancien habitant du village sur Anouchka. Il apprend qu’elle est morte après avoir donné le jour à un garçon, que le père et la mère di; la jeune fille sont également morts, mais que l’enfant a prospéré. Mitka est en ce moment le plus alerte et le plus habile yamtchik du pays. Le yamtchik aime une jolie fille du nom de Macha[3], et celle-ci est poursuivie par un petit gentilhomme campagnard, qui, afin d’éloigner du pays l’incommode yamtchik, s’entend avec le golova[4] pour livrer ce jeune homme comme recrue. Presque aussitôt

  1. Postillon qui loue des chevaux et les conduit.
  2. Les villages russes qui se trouvent sur les grandes routes sont formés de deux rangées de maisons de bois ou isbas de construction uniforme. Ornées toutes de ciselures à jour, précédées de terrasses extérieures et de petits jardins bordés de bouleaux, ces maisons s’étendent sur les deux côtés de la route. — Il y a tel de ces villages qui a plus d’une lieue de développement.
  3. Contraction de Marie.
  4. Le golova (littéralement, la tête, le maire du village) est nommé par ses pairs. Le système communal, en Russie, est basé tout entier sur le suffrage universel. C’est le golova, aidé des anciens (le conseil municipal), qui, au jour du recrutement, désigne les jeunes gens appelés à remplir les cadres de l’armée. Son choix est toujours dirigé par un sentiment de justice. Ainsi les paresseux, les mauvais sujets, ceux qui annoncent des penchans vicieux, sont désignés d’avance ; on prend ensuite parmi les familles les plus nombreuses, respectant toujours le fils de la veuve et celui du vieillard. En dehors du recrutement officiel et général, les anciens du village ont aussi le droit de livrer au gouvernement, pour qu’il soit enrôlé, celui dont la conduite peut être un sujet de trouble ou de scandale parmi les habitans de l’endroit.