l’abondance des idées, ni par une forte argumentation, quoiqu’elle ne contienne que des allégations sans preuves et sans développement, elle fut fort remarquée, et dès l’abord elle posa Junius. Elle se distinguait des publications attribuées par l’éditeur à la même plume, et elle annonçait un nouvel ordre de compositions et comme une nouvelle phase du talent de l’auteur, que l’on croyait d’ailleurs lire pour la première fois. Ce qui frappe surtout dans cette lettre, c’est le ton d’autorité, et Junius le gardera jusque dans les excès d’une polémique injurieuse. Ce que les Anglais admirèrent surtout et ce qu’ils admirent encore, c’est le style médité d’un écrivain qui travaille sa diction jusque dans les emportemens de la colère. Aussi cette lettre de début, ce prologue éloquent ne passa-t-il point sans opposition. En faisant la revue des ministres, Junius avait rencontré et atteint le marquis de Granby, alors commandant général des forces et grand-maître de l’artillerie. Granby jouissait de la faveur publique. Son caractère facile et bienveillant, ses manières populaires, ses services distingués dans la guerre de sept ans, particulièrement à la journée de Minden, dont il n’avait pas tenu à lui que le succès ne fût encore plus complet et plus décidé, l’avaient rendu cher à la nation. Seul avec le chancelier lord Camden et sir Édouard Hawke, premier lord de l’amirauté, il représentait encore l’élément libéral qui était entré dans la formation du ministère ; mais c’était une raison pour lui reprocher d’en faire partie, et Junius l’avait traité avec une dureté dédaigneuse. Sir William Draper, cet officier lettré que nous avons déjà vu prendre la défense de lord Chatham, se chargea de celle de son ancien général. Dans une lettre à l’imprimeur du journal, il opposa des éloges à des critiques, sans y mêler beaucoup de raisons, mais sans épargner les outrages. Junius répondit, et l’on put dès-lors connaître sa manière de combattre. Il commence par attaquer brusquement, vivement, en affirmant sans prouver. On répond, il réplique ; mais alors, en motivant ses attaques, tout au moins en les mettant sous forme d’argument, il rend la critique plus forte et plus aiguë. Jamais il ne recule, jamais il ne désarme, jamais il n’atténue ce qu’il a dit une fois, et, quand il a frappé, il ne paraît jaloux que d’enfoncer le fer dans la plaie. Seulement, s’il craint les redites, s’il veut éviter la monotonie, s’il trouve que son argumentation s’use et faiblit, il se détourne et tombe, quand il peut, sur un nouvel adversaire. C’est ce qu’il fait cette fois en prenant à partie sir William Draper, en le contraignant personnellement à une défense assez pénible. Le brave chevalier du Bain ne manque ni d’esprit ni d’instruction ; mais ses lettres, écrites avec un peu de pédanterie, sont plus insultantes que péremptoires : on y aperçoit le sentiment cruel que dut éprouver tout antagoniste de Junius, le désespoir de ne pouvoir connaître son ennemi. L’obscurité dont il s’enveloppait
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