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— Eh bien ! tant pis ! interrompit grossièrement le marin ; je vous dis de me lâcher.

Et comme le Béarnais continuait de le secouer :

— Vous ne voulez pas ? ajouta-t-il ; tonnerre ! n’allez pas m’ennuyer comme votre oiseau, ou sinon !…

Il avait détaché de son collet les deux mains du malade, qu’il repoussa si rudement, qu’il l’envoya tomber dans la cabane. Marillas se releva avec un cri de rage, saisit son fusil et mit en joue le grand Luc. Marzou eut à peine le temps de relever l’arme en se jetant devant lui ; encore n’eût-il pu le retenir, si Goron ne fût arrivé avec les paysans. Tous se réunirent pour apaiser Marillas ; mais son exaspération ne lui permettait de rien entendre. Acculé au fond de sa cabane, le cobriau mort à ses pieds, la main sur la batterie de son fusil, Luz avait quelque chose de si terrible, que tous les assistans reculèrent jusqu’au seuil.

— Allez-vous-en ! bégaya-t-il. Et toi, Lubert, rappelle-toi que tôt ou tard les faibles se vengent ! Encore une fois, allez-vous en ; l’île est à moi, c’est mon champ ; embarquez, ou, par le Dieu qui nous a créés ! je tirerai sur vous comme sur des voleurs et des assassins.

Il y avait dans son regard, allumé par la fièvre et la fureur, quelque chose de si égaré, qu’on lui obéit. Marzou seul voulut s’approcher, mais il lui montra l’entrée avec le canon du fusil en répétant: — Tous ! tous ! — Et, dès qu’ils eurent franchi le seuil, il s’élança vers la porte, qu’il barricada au dedans.

Les deux patrons et les paysans tinrent un instant conseil sur ce qu’ils devaient faire. Louis appela plusieurs fois Marillas ; mais n’ayant pu obtenir pour réponse qu’une nouvelle injonction de se retirer, ses compagnons et lui durent se décider à remettre à la voile pour Piriac.


II.

Quelques jours après la visite de Goron à l’île du Met, sa fille Annette était occupée à filer du lin près d’une porte qui donnait sur le petit jardin situé derrière leur maisonnette. Son père venait de la quitter pour rejoindre le grand Luc au cabaret de la Sardine d’argent, et Marzou, qui attendait son départ, ne l’eut pas plus tôt vu tourner du côté du port, qu’il escalada avec précaution la clôture de fétuques dont le jardinet était entouré. À sa vue, la jeune fille fit un mouvement de surprise, mais trop évidemment joué pour qu’on pût s’y méprendre.

— Jésus ! vous m’avez fait peur, Loïs, dit-elle avec un sourire qui la contredisait ; est-ce là une manière d’entrer chez les gens, et que diraient les voisins, s’ils allaient vous voir ?

— Vous savez bien. Niette, que les voisins sont aux champs, répondit le traîneur de grèves, et vous ne m’aviez encore jamais défendu d’entrer par la brèche.