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me semble… oui… je suis sûr d’avoir entendu dire au grand Luc qu’elle lui était promise.

— C’est une idée du père Goron, mais la Niette n’est jamais tombée d’accord de la chose.

— Parce qu’elle te préfère, n’est-ce pas ? À la bonne heure, je vois qu’il ne manque rien à ton histoire. Un amour contrarié ! cela peut curer long-temps… aussi long-temps que la contrariété ! Cours donc ta bordée, mon pauvre donzellon ; je ne te propose plus de venir à l’île avec moi ; reste sur la grande terre. Il faut chanter tous les couplets de la romance, comme on dit. En définitive, je puis me passer de compagnon, puisque j’ai Debrua ; mais il ne revient pas encore… Où peut-il donc être resté ?

— Votre cobriau ? Le voilà, dit la voix rude du grand Luc, qui arrivait par derrière la cabane ; et, s’approchant de Marillas, il jeta à ses pieds l’oiseau de mer, qui tomba les ailes étendues, le bec entr’ouvert et les pattes raidies. Le Béarnais se pencha vivement et prit le cobriau, qui resta immobile.

— Mais il est mort ! s’écria-t-il.

— Pour de bon ? s’écria le grand Luc tranquillement ; eh bien ! je m’en doutais.

— Toi ? interrompit Luz, dont les yeux s’étaient enflammés et dont la voix tremblait ; alors tu sais comment la chose est arrivée ? Il y a du sang sur les plumes ! Debrua a été tué !

— Eh bien ! eh bien ! ne vous tournez donc pas la bile pour si peu, reprit le marin en haussant les épaules.

— Qui a fait cela ? Réponds, qui a fait cela ? demanda le Béarnais en se levant.

Le grand Luc lui jeta un de ces regards de taureau où la brutalité se mêlait à une sorte d’insolence féroce. — Qui ? reprit-il, pardieu ! quelqu’un que l’oiseau ennuyait. Il était toujours sur mes talons, à me picoter les jambes ; pour le faire finir, je l’ai renvoyé du pied, et, ma foi ! il n’a plus bougé.

Le rire stupide dont Lubert accompagna ces mots fut interrompu par le Béarnais, qui le saisit au cou. — Ainsi, c’est toi ! dit-il la voix étranglée par la douleur et la colère ; tu as frappé un animal qui ne pouvait se défendre ; tu es venu le tuer chez moi, tu me l’apportes mort, et tu as cru, misérable, que je ne te demanderais pas raison de ta lâcheté ?

— Un moment donc, un moment ! balbutia le gigantesque marin, d’abord étourdi de cette violence. Lâchez-moi, maître Luz ! Ne dirait-on pas qu’on a malmené quelqu’un de votre famille ?

— Dis toute ma famille, brute sauvage ! reprit Marillas ; toute ma famille, entends-tu bien ! car c’était ici mon seul ami, mon seul compagnon.