Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/948

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

autre garçon épris d’amitié pour la Niette, et, si j’ai bien entendu, vous avez été content de le trouver tout à l’heure sur la mer.

— Je ne suis pas pour nier les services qu’on me rend, répondit le marin d’un air sombre.

— C’est un commencement de disposition à les payer, continua le Béarnais, et peut-être bien que la Niette s’en chargerait sans trop de déplaisance.

Lubert frappa sur sa cuisse. — À la bonne heure ! s’écria-t-il avec un rire méprisant, en voilà un gendre qui sera glorieux pour maître Goron ! Je voudrais seulement savoir ce qu’il répondra à la mairie, quand on lui demandera de qui il est fils ?

— Il répondra, dit Marillas. qu’il est fils de son courage et de son intelligence. Ce sont des parens que tu n’as pas eus, toi, grand Luc, car si tu étais né sans ressources comme Loïs, au lieu de glaner honnêtement ton pain sur les rochers et les grèves, tu vagabonderais maintenant par les routes avec les voleurs ou les mendians.

— C’est bon, dit Lubert, qui ne se sentait pas de force à répondre ; on ne vous parle pas, à vous, Béarnais ; occupez-vous de mourir, et laissez en repos ceux qui ont la force de vivre. Vous aurez beau parler d’ailleurs, le traîneur n’en restera pas moins trop gueux pour nourrir une femme, lui qui ne sait pas seulement un métier.

— Lubert a vu que je pouvais conduire une barque, objecta Marzou.

— Quand tu trouves quelqu’un pour te prêter la sienne, acheva brutalement le grand Luc ; mais dis-nous un peu où est ta chaloupe ?

— Ici, interrompit Marillas vivement, je vais te la montrer.

Et, faisant signe au traîneur de grèves de l’aider, il se souleva sur son coude gauche, glissa la main droite sous sa paillasse, chercha quelque temps et en retira enfin une pochette de cuir qu’il ouvrit. Des louis d’or s’éparpillèrent sur la couverture.

— Il y a là près de quinze cents francs, reprit-il ; c’est deux fois plus qu’il ne faut pour acheter une barque. Si je vis, Loïs me les rendra peu à peu et selon son pouvoir ; si je meurs, comme vous en êtes bien sûrs, tout est pour lui. Que peux-tu dire à cela, grand Luc ?

— Moi ? rien, monsieur Luz, dit le géant, qui n’avait jamais vu tant d’or et se trouvait subitement intimidé devant le possesseur d’une pareille somme ; à cette heure, le patron ne peut pas manquer d’être pour le traîneur de grèves ; mais, pas moins, je me demande pourquoi vous êtes ainsi contre moi !

Un éclair passa sur les traits livides du mourant ; il leva lentement la main et montra la muraille au pied de son lit : le cobriau tué par le grand Luc y était suspendu le bec entr’ouvert et les ailes pendantes. Lubert déconcerté baissa la tête.

— Je t’avais averti qu’il venait une heure ou les faibles se